Je me souviens d’une moto, l’avais-je enfourchée ou avais-je suivi le trajet offert sur les rétroviseurs, debout – l’engin reposait sur un socle dans une cave- du moins en avais-je apprécié un nouveau détournement libre des objets faits, ready made. Roland Baladi glissait vers un nouveau champ de voyage avec elle, avec plus encore de refus du modèle, tout en semblant s’y cantonner. Il le faisait après avoir conçu une centaine de marbres étonnamment beaux dans leur tout aussi fausse simplicité et en grandeur nature, pour un moniteur, une caméra, ou un aspirateur ; le dernier de ces marbres privilégiait déjà l’avion, une Caravelle… Ce faisant, Roland Baladi inaugurait une longue voie dans sa reconnaissance des choses qui sont dans le monde du quotidien, y débauchait un matériau dédié aux sculptures des dieux et des déesses, et relançait ses trajets-vidéos.

Roland Baladi continue à poser dans le chemin- vidéo des invitations à l’itinéraire, on ne dira pas qu’il le revendique car il n’est pas de ceux qui réclament, au contraire, il se glisse parmi les essayeurs de ses installations, entre deux, pour saisir ce qu’il en advient.
La titrologie suffit à exprimer sa continuelle intervention dans le monde de la vidéo, différemment toujours des chemins tracés, et toujours constant dans sa décision. Working Title in Progress III, le titre est lui-même pris dans le processus, ne peut-on pas le traduire par titre travaillant/ titre à l’œuvre dans le projet, titre à l’œuvre se faisant, titre de travail en cours III. Toujours, le sourire de l’artiste flotte sur l’œuvre comme celui du chat du Cheshire d’Alice qui se plaisait aux discussions philosophiques désarçonnantes, surgissait et disparaissait et avait le don de laisser dans son sillage …son sourire. On ne serait pas étonné d’entendre l’artiste entonner les paroles de Jabberwocky

Twas brillig, and the slithy toves
Did gyre and gimble in the wabe;
All mimsy were the borogoves,
And the mome raths outgrabe.
 

Fleurpageons Les rhododendroves
Gyrait et vomblait dans les vabes,
On frimait vers les pétunias
et les momerates embradent .

car si ses phrases comme ses titres se lisent, simples, il manie avec une vigilante subtilité le truisme – qui n’en est dès lors plus un- Ses évidences s’avèrent profondes, fausses évidences.

 

L’installation occupe une pièce obscurcie par ses volets clos, les moulures du mur gris rappellent son ancienne fonction d’habitat, alors qu’un canapé étroit, type Récamier invite à se coucher afin de voir ce qui se déroule sur l’écran de l’ordinateur posé à la verticale sur une petite table simplissime. Une petite aquarelle pourrait être décorative poursuivant ce ready made de salon.

Ce faisant- encore- l’installation affiche son protocole ainsi suspendu sous verre : le petit tableau sous sa fonction d’ornement d’appartement, obéit au détournement. Son dessin abandonne les sujets topiques des décorations domestiques leur préférant, l’image d’un homme de dos, couché sur un côté, sur un sofa avec oreiller cylindrique, près d’une table avec ordinateur posé à la verticale, en parfait écho ou modèle -selon le moment de sa découverte- de la pièce à vivre réelle et par la pièce- installation de Baladi.

Cela se redouble puisque le film se déroulant lui-aussi dit en son titre son propos : Tracer « Ciel » dans le ciel : en effet, en et une chandelle et trois boucles de dimensions différentes correspondant au C majuscule, aux i et e et se termine en l, un petit avion écrit « Ciel ». La proposition induisant de s’allonger sur le sofa, le calme de la pièce induisant de la suivre, celui ou celle qui le fait est dès lors emporté/e dans le mouvement, emporté dans la sensation de partager le déplacement et l’écriture depuis le cockpit de l’appareil. S’y dépasse ainsi la simple copie de l’aquarelle puisque un réel vertige, très vite, s’empare de vous devant ces mouvements de renverse. Plus encore la couleur rouge du drap recouvrant le sofa tout autant que la position sur le côté obligatoire pour voir ce qui se déroule sur l’écran entraînent à reconnaître comme sources d’autres dépaysements, d’autres ivresses.

Entre la prise de jeu, le plaisir du mot pris au mot, le faux accord, la synonymie de geste, l’œuvre de Roland Baladi nous « bienmène ».

 

    Simone Dompeyre

     
     
index intentions expos collections textes texts