Sans rancune Mac Luhan signé Michel Ange
Interview par Franck Maubert in ART PRESS
Combien de temps te faut il pour tailler une sculpture ?
Quelques millions d'années pour que le marbre se forme et
des poussières pour que le lui en donne une. Il y a un
proverbe chinois qui dit que le temps ne respecte pas ce que l'on
fait sans lui .
Comment tout ceta a t-i1 commencé?
D'une manière extrêmement simpliste, une nuit..
à cette époque, an 75 Si mes souvenirs sont exacts, je
faisais des bandes vidéo... Donc une nuit, le vois en
rêve un moniteur vidéo an marbre de Carrure. Le
lendemain. le notais l'idée, et quelques mois plus tard, avec
l'aide de l'atelier Nicoli à Carrare, le moniteur était
réalisé. C'est celui que tu as vu au Nouveau
Musée à côté des pièces de Paik,
Campus, Viola, etc. J'ai été un des premiers en France
à réaliser des bandes vidéo, je pen-sais
vraiment que c'était le medium de l'avenir, je le pense
toujours à condition de faire du broadcast, d'utiliser le
réseau hertzien et bientôt les satellites. Mais
jusqu'à présent, sauf rares exceptions aux Etats -Unis,
le travail vidéo des artistes est uniquement montré
dans les musées, le moniteur posé sur un socle, avec
rarement des sièges devant. Mes pièces vidéo
sont donc conçues comme des sculptures, elles durent un temps
indéfini; une heure renouvelable en forme de boucle et il
n'est pas indispensable d'en voir l'ensemble ni même un moment
particulier, le premier déclic se produisant quand on a
compris de quoi il s'agit le deuxième relevant du plaisir:
regarder, entendre, naturellement, pas d'histoire...
Tu fais référence à " Ecrire Paris " ou
à " Périphérique " ?
Absolument. Ces bandes ont été montrée
à l'ARC à " Confrontation Video " en 74, par la suite
j'ai fait des videos ou l'action se réduisait de plus en plus
jusqu'a dans " Watch my face to read my thoughts, je me contente de
montrer mon visage, sans un mot en train de penser très fort
à quelque chose que le cherche à communiquer au
visionneur. Je ne savais pas alors que je ferais un moniteur an
marbre et ce n'est que très récemment que l'ai compris
que " Watch my face " portait les prémices de From Mike to
Marshall qui, lui, justifie tout à fait le socle sur lequel on
l'aurait de toute façon posé. Je ne sais plus pourquoi
le te dis tout ça... ah oui tu m'as demandé comment
cela avait commencé...; dans un rêve.
Il faut rêver de toute façon à cent pour
cent. Et vivre son rêve... Et là c'est très bien
que tu aies réalisé la télévision en
question !
Il se trouve que je n'avais lamais eu de télevision quand
j'étais gosse.
C'est une très belle explication. Mais pour-quoi ensuite
ces objets quotidiens, les objets de la ménagère ou du
confort moderne, ou du rêve... il s'agit bien du rêve des
années 1960-65, pas de celui de 1980. Le rêve
progressiste d'après guerre.
C'est à dire, 50-55. Tu as remarqué ça ? Tu
as vu ? Tous mes objets sont à peu prés de cette
époque. Quand j'étais adolescent, je regardais les
objets. Je ne dessinais pas des arbres, des maisons, je dessinais le
poste de radio que l'avais chez moi... c'est pour ça que j'ai
pu la reproduire an marbre, je m'en souvenais parfaitement j'avais
dessiné tous les détails. Je dessinais le mieux que je
pouvais ce poste de radio, je l'aimais, je le trouvais très
beau. Elle me suis toujours intéressé à ces
choses-là. J'ai fait une exposition chez Annick Le Moine qui
s'appelait " Les machines à se retrouver ". Ce
n'étaient pas des vieilles machines, ce n'était pas de
l'électro-ménager...
C'était ta première exposition?
Non, j'avais déjà exposé à l'ARC, avec
Pierre Gaudibert, mais des machines qui étaient exactement à
l'opposé de ce que le fais aujourd'hui. C'étaient des
machines très fonctionnelles qui avaient un but très précis. Je
m'intéressais à la participation... Il s'agissait pour
moi de faire réaliser le travail par le public... Celui-ci
faisait réagir ou non las machines qui étaient les
témoins de son mouvement, de ses paroles. Il y avait
même un environnement qui lui permettait de dessiner
lui-même avec Le "Mur à graffiti
éphémères". Mais très vite, après
cette exposition, l'ai compris qu'il s'agissait d'un cul-de-sac.
C'est à ce moment-là que tu t'es mis à
réaliser les objets en marbre?
Non. Entre cette exposition et les objets an marbre, il y a le "
Bas-relief solaire " que tu connais et qui est aussi une
manière de ne pas faire les choses soi-même. Mais au
lieu de les faire faire par le public, je les faisais faire par le
soleil. Je crois que c'est une bonne transition étant
donné que c'est extrêmement technologique (j'utilisais
par exemple l'ordinateur) mais aussi parfaitement statique. Je
n'utilisais pas l'électricité comme dans les
pièces précédentes. Rien ne bougeait. L'image
était révélée par le soleil sans qu'il y
ait de mécanisme mobile. Les choses que le fais maintenant
gardent une nostalgie de l'électricité. Mais qui n'ont
aucun mouvement. Qui n'ont qu'une apparence.
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Tu es un artiste de l'archéologie contempo-raine.
Aujourd'hui, on classe pratiquement monuments historiques des usines
entières qui ne fonctionnent plus, et on les garde comme
témoins d'une époque.
Je vais ta raconter une histoire assez drôle. J'ai
été caméraman au Liban, après être
parti d'Egypte. J'ai travaillé pendant six mois sur
caméra Thomson. Emmanuel Deschamps m'a commandé une
caméra an marbre. Pas une caméra de
télévision, une caméra de cinéma, mais je
l'ai convaincu qu'une camé-ra de télé serait
beaucoup plus actuelle. Il a accepté et j'ai passé
à peu près trois mois avec une styliste, une
spécialiste, pour retrouver les objets. Elle a
recherché cette caméra sur laquelle j'avais
travaillé. Je voulais que ce soit cette caméra, et
aucune autre au monde. Chez Thomson, ils n'en ont pas. ils n'en ont
pas gardé.
Ça te semble curieux?
Très curieux. Il y a une personne chez Thomson, Monsieur
Poinsignon, qui rêve d'une mémoire technique. une
espèce de musée de ce qui a été fait, et
tous les jours. il souffre de voir détruire des choses. Cette
caméra, je suis en train de le redessiner à partir de
photos... La seule reproduction en volume qui existera de cette
caméra sera ma caméra en marbre.
Est-ce que tu es intéressé par la bataille avec
le matériau?
Oui, c'est une expérience presque initiatique. Zen en
quelque sorte. Lorsque tu teilles le marbre, tu as, par exemple, un
angle: il n'y a qu'un seul point sur lequel tu dois frapper pour
qu'un éclat intéressant se casse et s'échappe.
Si tu tapes trop près du bord, tu enlèves un petit
éclat et les autres éclats deviennent plus difficiles
à avoir, l'angle s'est arrondi. Ca n'est donc pas
intéressant C'est une mauvaise stratégie. Si tu tapes
trop loin du bord, tu peux donner vingt coups et rien ne bouge. Il
n'y a qu'un point juste. Si tu trouves ce point, sans avoir à
le rechercher, un plaisir immense se dégage de
l'économie de l'énergie. Pour moi, c'est une
école.Ça m'apprend, dans le vie par exemple, à
ne donner qu'un coup de téléphone aux gens que je veux
atteindre. Pas quinze fois, tu vois. Ne pas vouloir audelà de
mon pouvoir. D'ailleurs, c'est quand je suis rentré un soir et
que j'ai vu ma femme dans un corps à corps sanglant avec le
téléphone - elle cherchait à joindre quelqu'un
avant le week-end comme si sa vie en dépendait - que l'ai
compris que le téléphone en marbre participait moins
d'une idée que d'un état.. l'état pierre.
Je, vais être violent.. Est-ce que ce n'est pas un manque
d'imagination, un manque d'obsession intéreure, que de faire
simplement des objets qui t'entourent. Des objets qui entourent tout
le monde.
Est-ce que que n'est pas un manque d'imagination, en pleine
renaissance, de sculpter, à Florence, des Christ, des
vierges... Le problème est le même.
Absolument Le problème est de vivre dans son
siècle. Alors est-ce qu'il faut vraiment vivre son
siècle et avec lui, ou est-ce qu'il faut partir sur d'autres
voies qui sont les voies intérieures?
Il y a une série d'expositions qui s'appelle " les peintres
témoins de leur temps " . Cette expression m'est
familière. Je la trouve totalement absurde. D'abord, souvent
ces artistes ne sont pas tellement de leur temps. Tant mieux pour eux
. Si les artistes ne sont pas au moins témoins de
l'intemporel, qui va s'occuper de ça? Et moi, je n'ai pas du
tout l'impression qu'en faisant un téléphone le suis
témoin de mon temps.
Non, je ne veux pas dire spécialement des annees 50. Je
veux dire d'une partie du siècle, d'une grande partie du
siècle.
Encore une fois, j'étais adolescent quanc toutes ces choses
apparaissaient. Je me rends compte de ce qu'a été pour
ma mère l'apport d'une machine à laver. C'était
faramineux.
Bien sûr. Ça me parait important C'est le
début d'une autre vie. C'est le problème de toutes les
techniques et de savoir s'il fautvivre avec les progrès qui
sont réalisés et s'en servir, ou pas. Souvent les
artistes on refusé le siècle dans lequel ils vivaient
ils vivaient leur monde intérieur, qui était par fois
intemporel, c'est sûr. En tait, c'est un monde qui n'existe
pas. Souvent, moi, j'ai envie de vivre au XlXéme. Et les
artistes qu vivaient au XlXème n'avaient pas envie de vivre ce
siècle la. Ils disaient: moi, j'étais fait pour vivre
un autre monde,, un autre siècle, alors?
J'ai l'impression dans le fond que le travail qui se rapporte
à ce siècle n'est pas fait pour celui-là. Mais
le crois que tous les artistes se trompent lorsqu'ils parlent de
leurs idées. Probablement je me trompe. C'est pour ça
que je dis " j'ai l'impression " . Daumier pensait faire des dessins
humoristiques... Aujourd'hui, on appellerait ça " art
sociologique " . Je ne sais pas si la réciproque est vraie.
Moi je trouve ça très drôle. Restany dit
que ton travail a un caractère funéraire...
Je n'en ai pas la moindre conscience, mais je trouve que c'est
très aimable à lui. Rappelle-toi, Malraux disait que "
la civilisation est née avec l'invention du tombeau " , elle
mourra de l'incinération anonyme....
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