Magnifiques sculptures
Les magnifiques sculptures de marbre de Roland Baladi oscillent
sur la ligne de démarcation entre illusionnisme total et
symbolisme iconique. L'utilisation qu'il fait du marbre pour
réaliser ses répliques d'objets domestiques aussi
communs que des fers à repasser, des grille-pain et des radios
nous fait ressentir une impression de chaos qui attire l'attention
sur les objets qu'il sculpte en même temps qu'il nous en donne
une perception altérée.
Contrairement à beaucoup de sculpteurs figuratifs modernes,
Baladi ne fait pas appel à une illusion matérielle. Il
n'est pas possible de se tromper sur l'identité de ces objets,
pas de confusion possible entre l'objet réel et sa
représentation. Ce n'est pas une sculpture en "trompe
l'œil"(1). On est tout autant frappé par leur matière
"marbrée" que par leur similitude. Notre plaisir
découle non pas de l'aptitude de l'artiste qui trompe notre
regard mais essentiellement de la qualité inappropriée
du matériau à la forme.
Le marbre, parmi tous les matériaux qu'utilisent les
sculpteurs, est celui qui fait le plus écho à la
tradition. Les traditions qu'évoque ce matériau du
statuaire classique aux courbes radicalement classiques d'Arp, sont
plus vivantes et peut-être plus oppressantes pour l'artiste
méditerranéen et ce n'est probablement pas un hasard si
Baladi, artiste de naissance Egyptienne (sa mère est
italienne), a choisi dans un même geste d'observer et de
défier ces tradi-tions. Chaque été, Baladi
travaille pendant quatre mois à Carrare, dans un studio
où l'on continue à produire des sculptures dans la
tradition religieuse et monumentale et où l'on professe une
passion respectueuse pour ces méthodes traditionnelles.
Baladi a choisi des formes très éloignées de
cette tradition mais il en reste néanmoins l'amour du
matériau et de la facture soignée. |
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Ces sculptures témoignent, en fait, autant des
qualités du marbre que des qualités formelles des
objets représentés. Elles nous touchent par la
fraîcheur et l'insistance de leur sensualité. Polies
jusqu'à obtenir un lustre d'une finesse quasi sur-naturelle,
elles semblent briller d'une présence fantomatique. Et dans un
certain sens elle sont des fantômes. Les objets que Baladi
choisi de sculpter sont déjà datés. Leur
côté familier confère à leur
découverte une impression de nostalgie. Comme les pierres
tombales et les sculptures mor-tuaires auxquelles le marbre est la
plupart du temps associé de nos jours, elles sont des objets
de mémoire. Des commémorations d'objets d'usage courant
qui raison de la rapidité des changements dans le design
industriel, ne sont pi d'usage courant.
La magie du marbre est dans son apparence dure et douce à
la fois. Cette qualité renforce et est renforcée par
les courbes et la ligne légèrement bombée des
objets des années 40 et 50 qui ont la faveur Baladi. L'art de
Baladi est un art de contradictions fructueuses. On est frappé
par permanence acquise par ces objets et p son absurdité.
Mais, s'il y a de la malice dans la capture et la conservation d'un
vieux téléphone ou d'un fauteuil de ci avec son coussin
défoncé dans un marbre durable et éclatant, on
est loin d'un geste gratuit. Indéniablement solides, ces
sculptures n'en conservent pas moins un côté imaginaire.
Elles confondent nos sens nos attentes, perpétuent sans
discontinuer leurs mystères.
Linda Chase.Trad. de l'américain par Gabriel
Soucheyre |