L'art video, la video, Baladi et l'euro | LES ACHARNISTES N°3 janvier, 2003 |
Jean-Paul Fargier | ||||
|
Quarante ans d'art video, un an d'euro. Vous connaissez la nouvelle? C'est dans tous les journaux pour l'euro, dans Beaux-Arts magazine pour l'art vidéo. Pardon, la vidéo. L'art vidéo est, parait-il, une unité de compte dépassée. Beaucoup plus dépassée que le franc, la peseta ou le mark. Si nous payons en euros, nous continuons de penser en francs, de parler en francs, d'évaluer en francs tous les journaux le constatent l'art vidéo, lui, constate Beaux-Arts, n'aurait pas résisté au passage à la vidéo, qui, elle-même, serait menacée de dissolution dans une espèce plus attrayante. Le dollar? Non, l'lM. L'image en Mouvement Belle trouvaille d'une novice de laDAP (1) Mais l'art vidéo résiste. A preuve, Roland Baladi. Il vient d'éditer en VHS ses dernières oeuvres (Ecrire Centre, Qui se fâche perd, Projet en l'air) sous le titre : Malgré tout Roland Baladi, Suite logique de ses. fausses œuvres complètes intitulées Presque tout Roland Baladi (Edition limitée à 10 ex.) Si Beaux-Arts Magazine et la novice de la DAP (portant quand même rang d'inspecteur principal) connaissaient par exemple l'œuvre de ils accueilleraient avec moins de candeur les étiquettes surévaluées (2) des produits anti-art vidéo lancés récemment sur le marché par des galeristes profiteurs de l'amnésie générale (entretenue par des ouvrages marécageux – je veux dire prenant leurs ordres aux galeries du Marais - tels que La vidéo un art contemporain, de Françoise Parfait, dont Beaux-Arts et la novice de la DAP semblent avoir fait leur Bible). Roland Baladi est un des pionniers de l'art vidéo, il est toujours en activité et continue à inventer des dispositifs radicaux, qui mettent en question avec beaucoup d'humour et pas mal d'élégance, les signes (images-sons-textes) de la videosphère dans laquelle nous habitons depuis l'âge de la Télévision ... Questionnement faut-il le rappeler, qui est le fond même de l'art video. |
En 1974 Ecrire Paris avec les rues de cette ville brode une des plus ingénieuses calligraphies du Direct même, défiant par fa même occasion le Land Art et l'art Performance. Une moto caméra suit dans Paris un itinéraire qui trace, lettre après lettre, le mot Paris pendant une heure. En 2002, c'est en avion qu'il écrit le mot Centre au centre de la France. Graphie monumentale, qu'on ne peut déchiffrer qu'en se plaçant mentalement en orbite, tel un satellite géostationnaire. Vous en connaissez beaucoup des oeuvres qui vous propulsent à cette altitude ? Baladi a l'art de vous (et de tout) mettre à distance. Par exemple ici, la paranoïa américaine post 11 septembre Ses marbres (réalisant des "ready made", d'une bouteille de Coca à une Cadillac en passant entr'autres par un grille-pain, un frigo, un poste de télé et une camera de plateau, la série devant s'arrêter à la reproduction, non encore effectuée, grandeur nature d'une Caravelle) mettent à distance Marcel Duchamp. Mais aussi font de la vidéo sans caméra ni magnéto un marbre d'objet trouvé, métamorphose sans médiation d'une chose en représentation, est une émission instantanée de réalité, telle que la Télé, l'usine en taillant dans le marbre des électrons les objets en celluloïd de la Réalité trouvée {trouvée dans le Cinéma). Sa grande fiction post-cinématographique Michael & Jello (prononcez à l'américaine, et vous entendrez Michel Ange, Monsieur Marbre), commencée en 1982 (22 épisodes), poursuivie en 1986 (23ème épisode), en 1990 (24ème), en 1993 (25 et 26èmes), en 1997 (27ème}, atteint en 2002 son 28ème épisode, et ce n'est pas fini. Je n'ai pas la place d'examiner ici toutes les implications de ce "soap opera", prodigieusement ambitieux, léger, drôle et décapant. Qu'il me suffise de dire qu'en comparaison, les pesantes kitcheries de Matthew Barney paraissent pour ce qu'elles sont des simagrées vides, boursouflées. Michael & Jello pense et pratique con brio et force duende l'estocade de toutes tes formes de récit (du roman au feuilleton télé, en passant par Hollywood et les amateurs d'lM). |
Prince de la mise à distance, Baladi, par un étrange retour de bâton, se trouve aujourd'hui (après avoir été, à l'époque de ses marbres, très bien côté sur le marché) mis à distance lui-même par les chantres et les marchands de la vidéo anti-art-vidéo, mais aussi par les commissaires (aux comptes?) de l'art contemporain. Pas de Baladi par exemple dans l'expo du Fresnoy sur le thème images/textes, ou son historique (1975 !) Watch my face to read my thoughs et sa bande passante de mots ironiques aurait fait mouche. Pas de Baladi non plus à Rennes chez Les Faiseurs d'histoires (8 jv-23 fev 2003), alors que n'importe quel épisode de M&J transcenderait toutes les historiettes exposées. Et, bien sûr une seule mention de Baladi dans le livre Si imparfait de Mme Parfait, rien sur ses performances, rien sur ses installations, rien sur ses bandes, toutes choses pourtant très art plastique, il faut cesser cette injuste mise à l'écart, qui profite à des imposteurs. Je lance ici une pétition pour qu'on nous rende Baladi.Que le Centre Pompidou, le Musée d'Art Moderne de la ville de Paris ou, pourquoi pas, le Jeu de Paume (avant qu'il disparaisse) organise une grande rétrospective Baladi. Recopiez-la, signez-la, envoyez-la à M Pacquement et à Mme van Asshe au Centre Pompidou, à Mme Pagé à la Mairie de Paris, à M Abadie au Jeu de Paume.Qui prendra enfin ses responsabilités face à l'Histoire d'un art qui ne portera jamais qu'un seul nom (ou il ne sera pas), celui d'Art Vidéo ? D'avance nous le - ou la - félicitons acharnistement. 1 - Direction des Arts Plastiques du Ministère de la Culture 2 - 287000 dollars 1 pour une bouffige (vidéo?) de Matthew Barney (èditè en 10 exemplaires}, 200 000 dollars, pour une serpillière effilochée de Gordon Douglas, mais seulement(!) J10 000 euros pour une historiette de Valérie Mrejen, une pilule de Franck Scurti, une pastille de Pipilotti Rist ou une pustule de Pierre Huyghe. Ce qui est loin des prix démocratiques (bravo) des éditions BVD qui offrent des VHS d'artistes video pour 37 euros ... Voir les tarifs intermédiaires dans le n°224 de Beaux-Arts Mag. |
|||
|