AU PAYS DE L'OR BLANC j'ai roulé sur l'or

Sous titres de la video

Tout dépendait de lui.
Il entra dans la maison comme un héro western avec son chapeau ses bottes et un halo de poussière lumineuse dans l’encadrement surexposé de la porte.
Nous avions attendu dans la cuisine où sa femme nous avait offert du fromage et du vin de pays et d’où nous avions contemplé par la fenêtre, les pans étincelants de la carrière de marbre toute proche, que nous venions de visiter Cesare, Mario et moi.

Ce que nous cherchions était plutôt inattendu : un monolithe de 60 tonnes de marbre.
Mario est expert dans la taille du marbre et Cesare dans la mise en caisse des sculptures, mais aucun de nous n’arrivait à reconnaître la qualité du marbre quand il était dans la carrière. Un jeune homme en bleu de travail nous avait donné un tuyau d’arrosage pour mouiller la paroi et voir davantage les veines, mais ça n’avait servi à rien, seul le patron de la carrière pouvait s’y reconnaître.

Tout dépendait de lui.
Il est entré dans la cuisine et m’a serré la main aussi discrètement qu’il avait gardé la bouche fermée comme pour ne pas faire étalage de ses dents en or, puis disparut. J’en ai profité pour demander à Cesare le nom de son frère : « Giustino » me répondit-il.
Giustino est revenu, il était douché et avait perdu son chapeau et ses bottes, il s’assit.

Mario le premier entreprit d’expliquer à Giustino le projet de sculpter une voiture américaine en marbre et que ne pouvant pas me payer le bloc de marbre j’avais trouvé quelques amateurs pour investir dans le projet et partager avec moi les bénéfices de la vente. Je n’avais pas trouvé assez de fonds pour payer tout le bloc, serait-il intéressé d’investir dans le projet avec de la pierre ?
Mario est entré dans les détails que la vitesse de mon écriture m’empêche de rapporter.
Justino montra de l’or pour la première fois :
_Est-ce que le marbre de ma carrière convient au projet ? 


 

Cesare répond qu’il était difficile de reconnaître le marbre quand il fait partie de la montagne, que nous cherchions un « arabescato » à fond blanc et pensant que son frère n’avait pas suivi les explications de Mario, il repris tout à nouveau, il a même dit dans un dialecte que je ne comprenais pas qu’il allait faire la caisse d’expédition  pour New York, en participation.

La pièce était complètement irréelle, alors que toutes les cuisines du monde sont éclairées par le haut, celle-ci l’était par la carrière en bas agissant comme un énorme réflecteur. Les visages aussi étaient éclairés par la super table en marbre qui aurait été splendide taillé en forme de Cadillac grandeur nature. Sur les murs beaucoup de piété, quelque part un téléphone et une casserole qui mijote sur une gazinière la frigidaire trop récente ne mériterait pas qu’on le taille dans le marbre. Le sol est un damier en marbre noir et blanc, comme un échiquier et au nombre restreint de personnages en présence on pouvait dire que la partie était presque jouée.

Justino semblait perdre intérêt aux explications de Cesare et moi je perdais mon temps, il acceptait certainement toute proposition formulée par son frère et l’en tiendrait responsable au cas où cela foirerait, il interrompit Cesare :
«Est-ce que mon marbre convient? »     
« Est-ce qu’on pourrait un marbre comme celui-là ? » Fis-je en montrant la table.
« Ce marbre provient de la partie gauche au deuxième niveau », Dit-il en pointant l’index par la fenêtre ( Aouhw ! Quelle vision.). « Demain je vous apporterai des échantillons. »
Je me levai pour dire au revoir quand je m’aperçu que le jeune homme de la carrière était là lui aussi, ce devait être le fils de Giustino. Il arborait un tee-shirt « I love N.Y. »et souriait avec complicité.
Quand j’arrivai à l’atelier le lendemain, deux petits échantillons de marbre frais m’attendaient, la première partie était jouée et le projet de la Cadillac en marbre gagnait.

Carrare le 15.8.85

 
index intentions expos installations