TOUS LES CHEMINS MÈNENT À L'UNIQUE OBJET DE MON RESSENTIMENT "Rome unique objet de mon ressentiment" "Horace", Pierre Corneille (Scène 6, acte 4, ) à Dominique Marie Bulle Pierre Kiroul LIRE Ça faisait belle lurette que Michael n'avait plus ouvert un livre. C'est arrivé alors qu'il n'avait, pour la dixième fois, pas dépassé la dixième page de La chambre claire . Au temps où il étudiait à Cooper Union il lisait beaucoup. Il ne suivait pas les auteurs, pour s'en faire une idée un titre lui suffisait. Il avait eu sa période polar: Hammett, Ellroy, Chandler etc. Ce qu'il appréciait par dessus tout c'étaient les monologues intérieurs. Sa référence était le trivial Magnum PI, avec ses chemises à fleurs conduisant la Ferrari de Higgins en refaisant le monde en pensée. Il y avait aussi San Antonio mais celui-là Michael ne pouvait pas le connaître. C'est surtout dans le train qu'il se délectait, par la lecture, à minorer son agoraphobie. Il lui est arrivé même de lire en marchant, surtout en traversant la Hudson River sur le Brooklyn bridge. C'est dans ces conditions qu'il avait lu Henri Miller. Et Anaïs Nin bien sûr. Il eut sa période SF avec Azimof et Bradbury, mais son inclassable révélation était J.D. Salinger. Ça l'enchantait au point de relire Jour rêvé pour un poisson banane à Central Park, là même où se déroulait l'action. Au cantonnier qui piquait les canettes pour les jeter dans sa poubelle à roulettes, il s'était hasardé à s'enquérir de l'endroit où les canards du lac passaient l'hiver. –Aux Barbades avait pouffé le black dans sa sa barbe blanche. Il exposait des gencives édentées pour renchérir dans un éclat de rire: – Aux Barbades ou à St Barth. qu'est-ce que j'en sais. Wadweino ! Soit: What do I know, en toutes lettres. Sans raisons apparentes, il n'avait jamais lu Sur la route, mais s'intéressait à la Hudson Com-modore qui en était la vedette. Le Traité du zen et du pilotage des avions de Bill Coxan fut longtemps son "livre de chevet". Non pas qu'il le lisait le soir avant de dormir (il s'endormait toujours avec la radio sur sleep), mais c'était pour lui comme un grigri dans sa poche. Au point que le Pocket était tout fripé. La couve était rayée de pliures qui en lacéraient le glaçage. Par curiosité plus que par soucis de se faire une culture il était passé par Scott Fitzgerald, Ernest Hemingway, T. S. Eliot. Les classiques, il préférait les lire en extérieur avec une vue dégagée. Sur un banc de Battery Park par exemple, ou sur le rebord du parking au River Café. Il avait du mal à lire dans le métro de peur de rater la station, mais dans l'Amtrack, qui mettait une heure pour le conduire à Garrison, il lui arrivait même d'écrire. ÉCRIRE Michael relisait pour la troisième fois cette phrase sans la comprendre. Elle n'avait rien d'hermétique pourtant: sujet, verbe, complément … Ce qui empêchait Michael de la saisir, c'était surtout sa propre production de pensées. Elle oblitérait les lignes du best-seller lui tombant des mains. Il se levait pour noter une idée, passait devant la bouilloire et, décidant de se faire un thé, en avait déclenché l'interrupteur. Il récupérait ensuite dans son sac à dos le petit cahier format poche pour consigner sa trouvaille. Le cerveau de Michael était peuplé d'une foultitude d'idées. Il ne doutait pas qu'elles étaient si géniales qu'il ne les oublierait jamais. Mais que de fois il ne s'en est plus souvenu .... Cette fois-ci il fallait qu'il prenne note. Pour ne pas être distrait par l'ingérence d'un chroniqueur d'un journaliste ou d'une publicité, il avait programmé WQXR-FM: 100% musique classique, et pas de pub! Mais, là, c'est Pablo Casals tentant de scier son violoncelle, qui avait détourné son attention. Retourné au lit avec son carnet, pour noter, il ne s'en souvenait plus … Bien sûr, de sa magis-trale idée Il remontait alors en amont de sa page blanche pour lire ce qu'il y avait noté en dernier: Sylvie – son nom sur le collier et son chemisier à cœurs. — Sans rancune — On reste amis Pourquoi avait–il noté cela? À quelle occasion? Quel intérêt y trouvait–il quand il consigna ces lignes? Qui est sylvie ! Michael ne se souvenait de rien. La seule image qui lui restait était ce chemisier couvert de petits cœurs bleus ou noirs, à l'envers. Ça lui avait fait penser à des fesses, mais, bien sûr cela en disait plus long sur lui que sur Sylvie. La bouilloire frôlait la fusion. PEINDRE Pour lire ou pour écrire ça pouvait être n'importe où, mais pour peindre il fallait que ce soit dans son studio. C'est Archimède qui découvrit le théorème qui porte son nom. Mais Michael pensait que le bain et la baignoire y étaient pour quelque chose. Autant pour écrire que pour peindre il inventoriait une série de rituels favorisant les trouvailles. La plus efficace était selon lui la douche écossaise: la fonction "radiateur" du réseau sanguin, tentant de compenser l'excès de chaud ou de froid sur l'épiderme, accélérait aussi la circulation dans le cerveau. Ça dopait pour se dépasser. Tout cela, préjugeant que c'était dans le cerveau que naissait les idées, bien sûr … Il avait expérimenté la chimie du cerveau sans trop de succès. Avec le MDA, ou le cannabis il ne maitrisait pas sa pensée, l'héroïne annihilait toute initiative. Très motivantes les réalisations sous cocaïne décevaient avec le temps, y compris sous l'influence même de la coke ! De toutes façons, ce n'étaient ni leur interdiction ni leur toxicité qui en privaient Michael, mais leur coût. En ce qui concerne la chimie, Michael retint la caféine, en vente libre. Elle lui permettait de s'extraire de la routine, des soaps télé, du frigo du rien-foutre et du cætera, elle le maintenait un moment optimiste et courageux. Il tenta aussi la théine mais sans trop de succès. Le studio donnait sur Humbolt street traversée jour et nuit par des diables aux mains de pakistanais. N'ayant pas de doubles vitrages, il couvrait le bruit, de la rue par sa propre musique. Celle-ci comme le café lui donnait de l'élan. Pour toute activité c'était de commencer qui lui coûtait le plus, s'extraire de sa flemme... Cela dit, au terme de "travail", il préférait celui de "jeu", comme on dit d'un acteur, ou d'un pianiste qu'il "joue". Il pensait, sans doute à tort, que le travail était une punition judéo-chrétienne, infligée à Adam, transgresseur de la loi, condamné à « gagner son pain à la sueur de son front ». Pour lui artister n'était pas travailler. Le Brooklyn bridge allongeait sa course, mais il le préférait au Manhattan à cause de la vue. Il trébuchait sur les aspérités du chemin, marchait la tête tournée vers le ciel. Vers les nuages le jour et la nuit vers les étoiles. Noyé dans ses pensées, il s'égarait. Ne reconnaissait parfois plus son chemin, ne sachant même plus où il se trouvait. Comme le trou d'air d'un abyssal vertige, le moment le plus paniquant pour Michael était celui du passage entre les études et la vie "professionnelle". Ce terme "professionnel", vie "professionnelle", artiste "professionnel", Michael le tenait en horreur. Naïf, il pensait que l'art avait quelque chose à voir avec l'amour et que l'amour professionnel n'était pas de l'amour. À Cooper Union il avait tout essayé. Des expériences lumino-cinétique avec des moteurs, des cellules photo, des prismes en plastiques et toutes sortes de gadgets du catalogue Edmund Scientific, sans compter la multitude de sources lumineuses au super marché de Noël, qu'il suffisait de brancher pour lumino-cinétiser. Le problème avec les machines que Michael assemblait, c'est qu'elles n'étaient ni autonomes ni pérennes. Il a été aussi tenté par les performances les installations, les actions, fleurissantes à ce moment là; il participa à quelques manifestations dans le Lower East Side sans que cela porte à conséquence. Selon lui, ces pratiques qui ont fait leur marché chez Duchamp, s'échinaient depuis un demi siècle à demeurer contemporaine. Elles se laisseraient dépasser comme le lièvre par la tortue. Malgré son côté désuet, rien ne le mettait plus d'effet que la peinture. Il s'était inscrit chez Charles Seide, qui a bien voulu l'accepter dans son cours. Seide n'avait aucune prise sur l'art contemporain, n'était exposé nulle part. Il professait le non-objectiv art, une peinture déconnectée du réel. Il pratiquait aussi l'estampe et la sérigraphie. C'est de la commisération qu'il inspirait à Michael, qui lui au contraire préférait peindre sur le motif. En ce moment, dans le sillage de Chuck Close et quelques autres on faisait des photos qu'on projetait sur la toile pour décalquer et peindre l'image projetée. Tout le monde faisait ça. Mais pour Michael, aucun motif ne semblait valoir le coup. Baeder peignait des Diners, Goings des toasteurs et des flacons de Catchup. Manque de pot, Michael ne se souvenait jamais du nom de ce peintre qui s'attachait à peindre des reflets dans des vitrines et qu'il plaçait, au dessus des autres. Il trouvait ces peintures prodigieuses mais il regrettait qu'elles soient davantage "photo" que "réaliste". Chez Hopper, dont tous les magazines rabâchaient Night hawlks les touches se souvenaient du pinceau et ça n'enlevait rien au réalisme. Michael se mit à peindre des autos. D'abord le combi Volkswagen split [Le pare brise est divisé (split) en deux]. Puis au hasard des rencontres, il faisait des diapos qu'il donnait à développer chez Stedco, sur West Broadway. Parfois, pour les dessins il faisait faire des tirages au format "légal" soit 35,6 × 21,6 Cm qui étaient en réalité des photocopies. Michael décalquait la copie pour faire des aquarelles. Le photocopieur sur West Broadway semblait être un prototype. Ce n'était qu'une Xerox couleur sur laquelle on projetait un diapo. Il attendait que les tirages soient prêts en dégustant une yogourt ice-cream sur le trottoir. Une odeur d'épice flottait dans l'air cris-tallin. Près de Washington square, Mamoun's, sur Macdougall, faisait le meilleur falafel du monde. Il était Palestinien mais toute sa pub se contentait de dire Middel East Falafels, formule qui n'excluait pas Israël. ATELIER NOMADE – Tu t'es inscrit pour le voyage? Michael ne comprit pas la question. Flanqué devant son casier, il se demandait ce qu'il devait y déposer et ce qu'il devait prendre en "histoire de l'art". – Tu sais ! le voyage d'étude d'année 4 ! Il retira une oreillette de son Walkman, histoire de se donner le temps de répondre, et finit par faire signe à Echo qu'il n'avait pas entendu. C'est une frétillante brune à lunettes, le "loup blanc" de Cooper Union; c'est elle qui présidait le syndicat des étudiants et c'est elle qui avait créé dès sa première année CU the voice , le bulletin des étudiants de Cooper Union. CU, étaient les initiales pour Cooper Union, mais phonétique-ment ça se prononçait: see you. N'étant pas avantagée pas sa taille, elle dépassait ce handicap dans son propre sens. Par exemple ses courtes jambes aux mollets consé-quents, étaient accentués par le port de collants à rayures horizontale. Elle étudiait l'art visuel et savait parfaitement que des rayures verticales, au contraire, auraient affiné ses jambes. Mais, pour elle, c'était une manière de s'affirmer telle qu'elle était. Sa frange épaisse couvrait ses sourcils mais sa nuque était dégagée. À Albany, Echo avait repéré un Combi Volkswagen en vente pour seulement sept cents dollars. Son projet était de faire avec ce véhicule un Road PhD, pour sept étudiants. Chacun devait avancer 100$ pour acheter le bus. Echo était sûre qu'en le revendant on rentrerait dans son argent. Le Combi Volkswagen étant son motif de prédilection, Michael trouva l'idée bonne. Echo n'avait pas encore son permis, elle avait décrété qu'il en serait le chauffeur. – Je veux bien, mais je ne fais que chauffeur. – Comment ça ! que chauffeur ? – Je veux bien conduire mais je ne veux pas m'occuper de trouver les cinq autres, ni faire les corvées de paperasse. – OK (dit Echo dont l'outrecuidance avait des limites) je te paye un café ! – Il faut que j'y aille... J'ai cours avec Bernhard ! Il ferma son casier et brouilla le code du cadenas. La mécanique compliquée du Carrousel et son cliquetis à chaque diapo saccadait sa pensée, il voyait une série de peintures tachetées. Les peintres devaient être français parce qu'à moment donné il aperçut une tour Eiffel! Mais son cerveau était occupé par la rencontre de Echo. Cette histoire lui avait assiégé l'esprit, il n'entendit pas un mot du cours de Bernhard. On voyait toutes sortes d'accoutrements dans cette école d'art. Les jeans rapés semblaient avoir été découvert ici-même. Les T-shirts sérigraphiés, les coiffures rastas étaient convenus maintenant. Mais Michael était impressionné par Echo, dans des collants à rayures sous sa jupe écossaise et son Perfecto élimé. Sa frange de jais et son bracelet clouté. Qu'est–ce qu'il lui avait pris de teindre ses paumes au henné! Et qu'est-ce qui prit Michael de s'engager dans cette galère... Il se le demandait. LE COMBI Michael avait ceci de particulier qu'il ne s'intéressait pas à la théorie. Il se considérait bien "artiste" mais ne voulait rien savoir de la scène artistique, n’achetait pas de revues, ne connaissait que les œuvres qu'il avait vues en vrai et les artistes qu'il avait rencontré. Ça se limitait en gros aux profs de Cooper Union et aux artistes venus faire une lecture. Il avait conduit une moto mais ne portait pas de blouson en cuir et ne fréquentait pas les bikers. Il aura même piloté un Aeronca Chief, mais au bar de l'escadrille sur le terrain de Westville, la motorisation, les performances et les modèles dont les pilotes se gargarisaient lui passaient à côté du cigare. Ça se voyait tellement, que les pilotes affublés de Ray-ban ne lui parlaient que pour le railler. Il avait eu une Bianchina mais ne con-naissait aucun autre modèle chez Autobianchi. Il l'avait achetée parce qu'elle était la moins chère. Tout ça pour dire qu'il découvrait le T1 Combi Split-window Volkswagen, en vrai, pour la première fois. C'est un modèle de 57 gris bleu, le sigle à l'avant originellement chromé, était tout rouillé. La porte arrière avait deux battants, dont l'un s'ouvrait dans le sens contraire à la marche. Au prétexte avancé par Michael que la seconde ne passait qu'au moyen d'un double débrayage, John lâchait son véhicule pour 500 $ et leur offrirait même des cocas. Ça tombait bien car finalement ils n'étaient plus que cinq, pour ce assignement trip dont Echo seule avait, peut-être, une idée. Nelly avait fait faux bon. Il y avait à part Echo: Beverly, Noreen et Gail avec Michael. Ils n'avaient réussi à quitter Cooper Union où ils s'étaient donnés rendez–vous, que vers 11:11. C'est Echo qui proposa de se poser à Ithaca. Ils y arrivaient quand il était près de trois heures. Elles avaient faim et au bas de Lark street le parking de the Odyssey fast food leur tendait les bras. Michael avait du mal à faire un créneau avec les rétros latéraux, sur le central il ne voyait que les frimousses agitées des filles. Ulysse Paterakis s'apprêtait à faire la sieste quand ils demandèrent à déjeuner. La carte plastifiée était en grec ! Sofrito, Soufiko, Soutsou-kakia, Souvlaki, kotopoulo, Spanakopita, Spanakoryzo, Spetsofaï, Stifado, Strapatsada , Tas Kebab, Thodoropita. Au vu des vignettes aux couleurs délavées, on ne faisait pas la différence entre une omelette et une escalope panée. Pressé de siester, Ulysse leur proposait de choisir lui-même et de leur faire un forfait à 7$ par personne, boisson comprise. Puis, sans attendre leur accord, servit à chacun un petit verre d'Ouzo avec de petits amuses gueules. Michael avait demandé une bière, on servait des Mythos. C'est Noreen la première, qui voulut savoir où on allait. – Où veux tu qu'on aille? Répliquait Echo. Je ne sais pas moi, on devrait décider démocratiquement. – Que chacun dise où il veut aller puis nous voterons – Moi je propose d'aller à la mer – Moi à la montagne – Continental divide? – Pourquoi pas … Sauf que le gallon de gazoline dépasse maintenant un dollars, ça nous ruinera. – Faisons un pot commun à partir duquel on puisera pour les dépenses d'intérêt général – Mais … Pour aller où? – On n'a qu'a déchirer la carte en petits bouts et en piocher un dans un saladier . – Oui, ok. – On n'a pas de carte. – Achetons en une. – Trop compliqué; ça retarderait la décision et re-porterait notre périple. Echo avisait sur le comptoir un backgammon. Elle demanda l'autorisation à Ulysses. –"Tabli ...Tabli". Fit il en hochant positivement la tête. Avec les dés du "tabli" elle proposait de tirer la direction au sort: "12" le nord, "six" le sud "trois" l'est, "9" l'ouest ... etc. Beverly, qui jusqu'alors s'était tue, se chuchotait à elle même : – Ithaca, Odyssey, Ulysses, Mythos … Tout cela doit avoir un sens. D'autorité Echo proposait: – On pourrait commencer notre "assignement trip" à Ithaca. On achètera des dés et une carte en route. Qui vote pour ça? Ulysse qui avait suivi avec intérêt leur projet leur mit dans les main les dés: « δώρου ». L'auto-radio était contemporain du Combi, les stations captées ne diffusaient que Judy Garland ou des tubes surannés genre Rhum and Coca Cola par les Andrew Sisters des années 50. Les speakers avaient cette voix compassée des anciennes voix médiatiques. Il y eut Bing Crosby, Glenn Miller's big bands, les Inkspots, Artie Shaw Frenesi et Glenn Miller In the Mood. les Mills Brothers "Paper Doll", Dorothy Collins "Swingin 'on a Star". Des titres qu'avaient écoutés leurs parents en 78 tours. Il y flottait comme une climat paranormal, même Michael habituellement rationnel eut l'impression, un instant, que ces voix provenaient du passé. Cette idée déchaînait une hilarité hysté-rique à l'arrière. Beverly qui s'était couchée sur la banquette du fond se redressait brusquement affichant dans le rétro un sourire ondulant et interrogateur. Vue de la route 88, la campagne prenait des allures vintage, les fermes en bois grenat aux corniches blanches, les silos surmontés de dômes comme des observatoires, les pickups d'un autre âge, confortaient les passagers, dans un passé mythique, au point que lorsqu'ils se laissaient dépasser par un bolide contemporain c'était comme Back to the future. – Eureka! Jubilait Michael en anglais, puis avançait une explication qu'Echo avait dû expliquer aux autres: – C'est un poste des années cinquante en Modulation d'Amplitude: AM., il ne s'en fabrique plus, seuls les anciens en avaient conservé. Ces postes dataient du temps où l'obsolescence n'était pas encore programmée. Les quelques stations AM rescapées, émettant en direction d'un cœur de cible "troisième âge", ne programmaient, pour leur plaire, que de vieux tubes. CQFD ! Le camping n'était pas loin d'un Finger lake. À l'époque où on les baptisa, ces quatre lacs allongés faisaient comme les doigts de la mains. On décida de planter les tentes le plus loin possible des caravanes, camping cars et autres mobilhomes. Des bières, des chips et un sac de glaçon achetés, il y avait un foyer pour faire un feu de camp. On retourna acheter du bois et des Marshmallow. Puis laissant les boissons fraîchir on plongeait joyeusement dans la piscine avec une bousculade de bon aloi qui donna à Michael des sentiments mélangés. Le feu était au bord d'une haie, cela contrariait tout le monde. On avait imaginé des tentes autour du feu, à l'indienne. Il fut décidé de monter la tente de Michael de l'autre côté de la haie et les tentes des filles en épis convergeant vers le feu. Le Combi ferait paravent vis à vis du reste du monde. Le temps que le feu prenne on pétait les bières avec les chips, puis on sacrifiait aux traditionnelles grillades de Marshmallow. La soirée continuait avec les jolis sticks de beuh que confectionnait Echo, sans tabac. Le misérable son du lecteur de cassettes National, diffusait Devo, Talking Heads, mais aussi des vieux tubes de Dylan . She's got everything she needs. She's an artist, she don't look back ... Le froid leur fit enfiler duvet autour des braises. Seules Noreen et Gail se crapahutaient dans une tente. Puis Beverly. Restait Echo qui dormait déjà. Michael se couchait sur le dos pour déguster le bleu nuit du ciel, la tranquillité de l'instant. Il revivait en pensée la bousculade des filles dans la piscine. Les visions sous-marines du maillot, béant sur la chatte au duvet tellement fin, presqu'invisible, de Beverly. Ce maillot datait d'un temps ou elle était plus en chair. Quelles circonstances l'avaient fait mincir à ce point ? Cette vision avait réveillé des envies. Il se demandait si les filles avait remarqué sa turgescence. Comme chaque fois qu'il avait eu une érection non assouvie, il avait eu mal au burnes. Ces pensées le faisaient bander de nouveau, il se branlait doucement dans son duvet en prenant soin de ne pas éveiller de soupçons. Dans la tente, les filles étouffaient des rires, il se demandait s'il en était l'objet. Est-ce que Noreen et Gail étaient déjà ensemble avant cette virée? Et sinon comment se fait-il que les gays se retrouvent vite et sans arrières pensées sur le terrain du sexe. Lui par exemple n'osait risquer des avances. C'était Beverly qui lui faisait le plus d'effet, mais il pensait avoir plus de chance avec Echo. Le clignotant d'un ovni traversait imperceptiblement le ciel. Il n'eut même pas le temps de reconnaître que ce n'était qu'un avion, avant de sombrer. C'est vers midi que la question du départ se posait, après un lever asynchrone. On décida de faire des courses pour zapper le fastfood. La boutique du camping était une sorte de général store où on trouvait tout ce dont un campeur avait besoin: une pagaille de cartes postales sur tourniquets, représentant des cascades, la fameuse Cornell University, et les inévitables animaux de compagnie. Il y avait aussi les incontournables portes clefs et magnets aux armes de Tompkins County. Un grand frigo à bières, lait et autres sodas éclairait le passage. La partie épicerie était bien achalandée: une vitrine maintenue à température abritait muffins, bagels & Co. Le café était en self service. À part les produits de toilette et les gadgets de camping, il y avait aussi tous sortes de cartes routières et des babioles pour véhicules. Michael s'ouvrit à Echo. – Rien n'est plus ennuyeux que de lire une critique avant de voir une expo ou un film. Se balader avec un guide touristique démolissait l'imprévu. Ce n'est que perdu qu'on peut découvrir quelque chose de nouveau ! – Alors? quel est le point (What's the point) !? Dit Echo pressée de passer à la caisse avec cinq livres de produits sur les bras. Echo avait sans doute un paquet de défauts mais ils étaient compensé par une intelligence vif argent. Elle comprit tout de suite quand Michael lui retira la carte routière sous son coude pour la remplacer par une petite boule luisante au bout d'une attache ventouse. – Un compas … une boussole quoi ! Michael, pressé de voir si ça fonctionnait vraiment, sans attendre les autres, faisait sur le parking un trois cent soixante dans le sens des aiguilles d'une montre. La petite boule du compas, ventousée sur le split-window, tournait en sens inverse. Ça le mettait en joie. – Sept et deux: neuf … > Ouest ! Alea jacta est. Des deux côtés du Combi, des champs encore verts. Les fils électriques ondoyaient au rythme de la musique et s'accordaient au défilement des poteaux. And someday, maybe, Who knows, baby, I'll come and be cryin' to you. À l'intérieur, chacun devait dire le projet artistique qu'il produirait pendant le tour. Echo se proposait de repeindre le Minibus. Michael avait peur que cela compromette la vente du véhicule, mais il censura sa pensée. Il aurait bien fait, par la fenêtre, des photos dhorizon à assembler comme un long panorama sur la cimaise, mais affecté au poste de chauffeur, il ne pouvait pas conduire et photographier à la fois. Beverly exposa à l'arrière son projet: c'était une "action" ... ou une "performance" ? Echo la relaya à Michael qui n'avait rien entendu. Son action consistait à ne rien dire pendant tout le voyage, se contentant de faire des signes ou des dessins sur un petit calepin. Noreen qui avait apporté la camera video JVC de ses parents, se décidait pour une sorte de fiction en video. Quant à Gail elle tiendrait un carnet de voyage photofree exclusivement composé de dessins aux crayons pastels ou à l'aquarelle. Les dés firent double quatre: huit. C'est le sud sud-ouest, la RD 13 Vers Almira. À 40 miles à l'heure le van croisait face au soleil. À travers les lunettes polarisantes le ciel d'un bleu profond était gorgé de cumulus. En bord de route, ces maisons bardées de planches comme des tuiles était toutes de la même couleur: un "gris de Payne" de diffé-rentes densités, toujours encadré d'arrêtes blanches. Les bâtiments de ferme étaient tous du même grenat saturé et les dômes neufs des silos étincelaient parfois comme des ovnis. Sur la route: quelques pick-ups et des tracteurs. Leur seul arrêt était imposé pour faire le plein dans une station en bardage blanc elle aussi, au fronton grec. Un pégase survivait sur l'enseigne Socony Vacuum. La compagnie s'était transmutée en Mobil mais cette nouvelle marque n'avait pas encore atteint la province. Les Slush Puppies affichaient toutes sortes de couleurs et de saveurs: fraise, crème de fraise, framboise, framboise bleue, cerise, melon, pomme verte acide, cola ! On ne peut pas les essayer toutes. Michael s'était tout seul échiné à faire le plein. Bonnes, les filles lui en prirent une au citron vert qu'il suçât en reprenant le volant. C'était nouveau pour lui, nulle part à Brooklyn ni dans la grosse pomme cette boisson n'avait perduré. C'est une eau colorée et parfumée noyée d'une infinité de billes de glace ne dépassant pas un millimètre de diamètre. Les dés indiquaient l'ouest cette fois, ce qui les mit sur l’inter-state 85. Ils buttèrent sur le lac Erié et sortirent casser la croute sur une espèce de station balnéaire abandonnée. Le lac était jaune-orange et inspirait le dégoût. Venant du lac, le vent, empestait les oeufs pourris. Trop tard pour trouver un camping, il se laissèrent tenter par le Lakeview On the Lake, motel tenu par un jeune couple n'en revenant pas d'avoir des clients. C'étaient de charmants petits bungalows aux rideaux vichy rouges et blancs, des bois de cervidés aux murs et tout ce qu'il fallait pour faire du café. Les filles, elles, dormiraient à deux dans les king size d'un bungalow. Michael s'échappa dans celui qu'il occuperait tout seul. En pleine nuit Charles Seide se glissa dans la pièce, et annonça à Michael qu'il devait partir. Qu'est-ce que Seide venait faire en plein atelier nomade! Michael allait le lui demander quand il s'aperçut qu'il n'était pas seul dans le lit. Il reconnut l'eau de toilette de Beverly! Sa tante Mimy avait le même: "4711"! Le rêve de Michael avait réveillé Beverly qui se retourna, elle avait presque de la fièvre. Michael n'était pas réveillé mais son sexe était raide. Elle s'en saisit, l'engloutit dans le sien et se contentât d'une éjaculation immédiate. Ce fut trop furtif, Michael ne se réveilla qu'au lever du soleil et partit en direction de la falaise. Il s'arrêta au belvédère. La nature bruissait d'oiseaux, des mouettes passaient dans un boucan désordonné. Curieusement, le lac était vert bleu et l'odeur d'œufs pourris avait disparu, une légère restitution de brise était siphonnée par le lac demeuré plus chaud que les terres. Vers la droite, le soleil se lève et donne à Michael un modeste sentiment de plénitude. Il épierait Beverly pour déceler un indice sur la péripétie de cette nuit. Elle avait fait vœux de silence. La piscine était chauffée. Un paquet de bouées multicolores flottaient. Des frites en mousse, quelques animaux gonflés aussi. Michael s'étendit sur un transat en plastique avec son FM2. Dans son viseur la piscine était un Hockney. Toutes les idées qui lui vinrent avait déjà été exploitées. L'obstacle aux photos panoramiques par la fenêtre du van en déplacement inhibait toute nouvelle idée. Il se mit, sans y croire, à faire des macros, de très gros plans, d'objets infimes. Son Nikkor 58mm macro offrait un champ d'application rêvé. Michael se tint bien de photographier comme le premier crétin venu, des fleurs ou des insectes. Il s'attacha, bien que cela aussi était "déjà vu", à des détails de robinetterie de la piscine: compteurs, vannes, outils. Il fit quelques macros de pince qui faisaient penser à des crocodiles, mais il savait cette piste déjà surexploitée. Un interrupteur en très gros plan ressemblait à un visage: de part et d'autre de la gâche les deux vis figuraient des yeux... Il sursauta ! Beverly, en maillot de bain lui avait pincé ses anses d'humour. Elle plongea par dessus lui, Michael protégea avec ses mains le FM2 du splash, retourna aux transats, garda son caleçon et s'exposa au soleil matinal. Beverly faisait des longueurs sans faire de vagues. Sur le transat à côté, il lui enviait son carnet de croquis, sa boite d'aquarelle miniature. Il lui semblait que la délicieuse boite d'aquarelle Rowney formatait moins le résultat que son Nikon. Il convenait que cadrer et presser sur le déclencheur demandait moins de talent puisque c'est "Nikon" qui faisait tout le travail. À en croire la hauteur du soleil, il n'était pas loin de midi. L'équipée s'abandonna à une pause, autour de la piscine. Le vent de sud faisait oublier l'infecte puanteur du lac Erie. Michael pensait surtout qu'ils ne sentaient plus cette odeur parce qu'ils en faisaient partie, un peu comme on ne peut sentir sa propre haleine. Chacun s'adonnait à sa pratique favorite entrecoupée de courses, de barbecues et de beuveries le soir. Le couple de patron n'osaient pas leur faire de remarque: ils étaient les seuls occupants du Motel. Quand le lendemain une horde d'obèses débarquèrent et débordèrent la piscine, on leva le camp. Une discussion désorganisée avait lieu pendant que Beverly griffonnait sur son petit carnet. Son assignement volontaire était rempli à la perfection: elle n'avait pas ouvert la bouche depuis le départ. Michael pensait qu'elle n'avait pas dû trop se forcer, il se tut en regardant d'un air de intéressé son calepin: « Je n'ai jamais été à Niagara Falls » griffonné en capitales avec des "e" comme des εpsilon. Personne n'y était allé non plus. – Normal, dit Gail, nous habitons New York. L'idée d'aller sur la statue de la liberté ne nous effleure pas, nous laissons ça aux touristes. Michael hésita une seconde à confesser qu'il y avait été faire des panoramas. – Super ! Fit–il, allons y ! Un peu de tourisme tordra le cou à l'esprit de sérieux « Art Con-temporain ». Il avait dit "Art Contemporain" sans qu'on puisse déceler une grimace. Les panneaux de toutes les routes indiquaient Niagara Falls, il n'y avait qu'a suivre. Sur Route 5 dite aussi Erie road, le compas fixé par succion sur le split pare brise oscillait entre 50 et 60°, quand ils furent attirés par: Grandview Drive–in. On tenta d'en faire le tour, c'était immense et ça fascinait tout le monde. Aucun d'eux n'avait jamais été dans un drive-in et celui-là paraissait géant. Ils se promirent de repasser par là le soir. The blues brothers: pas mal. Bigre! Le parking est payant! Et loin des chutes. On en entendait quand même le vacarme et un petit nuage se formait en permanence à son emplacement. C'était le WE, le site était pris d'assaut. Près des chutes, des jumelles pour touristes à visage humain: les oculaires figuraient des yeux le nez une serrure et la bouche. Echo demanda à Gail de les filmer; elle demandait en off: – Es tu content ? Elle bougeait les jumelles verticalement pour dire « Oui ». – Ça t'agace qu'on te filme ? Elle bougeait alors la tête-jumelles horizontalement pour: « Non ». Regardant la video dans le viseur de la camera, elles se tordaient de rire. Le vrai truc à faire quand on est aux chutes du Niagara c'est d'enfiler des cirés jaunes, d'embarquer sur le Maid of the mist et d'aller frôler la chute. Emotions garanties. Ils comptèrent leur sous et conclurent : 1, Qu'il fallait rentrer à NY. 2, Que le Lake View Motel avait coûté trop cher. 3, Qu'il fallait en garder pour le Drive-in. DRIVE-IN Il scintillait littéralement à l'horizon. Des projos antiaérien balayaient le ciel. Et … C'était samedi soir: la fièvre ! L'énorme néon "Grand View" était plaqué en diagonale et dans un coin il y avait un masque pour symboliser "théâtre" (movie "theatre"). Mais ça faisait aussi penser à une frimousse de Disney. Derrière l'inscription, des ondulation couvrant toute la hauteur, faisaient "art cinétique". Les transfos dispensaient un grésillement mâtiné de petits éclairs. L'écran doit faire 45 pieds de haut, l'entrée se fait dans son dos. Tout le monde se souvenait de l'effet AM qui nous plongeait dans les années quarante. Ici c'était la machine à remonter dans les années cinquante. Inexplicable mais vrai, la plupart des autos étaient effectivement de ces années là. Les caissières jouaient le jeu à fond, et dès qu'on passait l'entrée une foule de teens bigarrés se frayait des itinéraires entre les spectateurs. Les premiers rangs sont déjà occupés par les décapotables. Des serveuses en rollers fonçaient avec des commandes comme au cinéma. Ils étaient au cinéma et savouraient cette conceptuelle redondance. Michael tenta de se ranger bien au milieu de l'écran, juste derrière les convertibles. La bande son n'était pas diffusée dans l'enceinte. Le ticket d'entrée mentionnait qu'il fallait régler l'auto-radio sur 107.5 en FM. Il se rendit compte, tard, de l'émeute des filles derrière lui: assises elle ne voyaient que la moitié inférieure de l'écran ! Michael annonça qu'on ne pouvait pas avoir de son. – ??? – Le poste antédiluvien du Combi n'a pas de FM. C'est marqué sur le ticket d'entrée: le son est transmit par la radio FM, fit il en montrant le ticket. Echo l’arracha pour lire les petits caractères sous le plafonnier jaunissant. « À défaut de FM, des hauts parleurs sont à dispo près de la cabine de projection. » C'était vrai. De petits poteaux offraient des hauts parleurs étanches et de fort piètre qualité que l'on rentrait dans le véhicule. Ce n'était pas de la stéréo et le son était supportable quand on ne cherchait pas à pousser le volume. Le film était désopilant certes, mais le spectacle continuait autour du Van. Popcorns, Sundaes, Cocas étaient servis sur un petit plateau qui s'accrochait aux portières. Noreen et Gail se faisaient des câlins sur la banquette arrière. À l'avant Michael était resté au volant et Beverly s'est installée entre lui et Echo. Tous les sens de Michael étaient à leur acmé, la fragrance de tante Mimy avec Beverly tout contre lui, le spectacle des Blues Brothers, et aussi et surtout cette brise de printemps sur sa nuque … A la fin du film il a fallu réveiller Beverly qui dormait sur son épaule. Ils passèrent la nuit dans le Van sur le Parking, c'était rigoureusement interdit. Michael à même le sol, a très mal dormi et, dans la brume matinale rien n'indiquait où on pouvait prendre une boisson chaude. Il n'arrivèrent à Cooper Union qu'au milieu de l'aprèm pour apprendre que Seide était mort. NOMADIC WORKSHOP, THE SHOW Echo avait réussi à faire entrer le Combi tout peinturluré dans le hall, et obtenu l'auto-risation d'y exposer leur NOMADIC WORKSHOP. Elles avaient dégagé les banquettes et, toutes portes ouvertes, avaient transformé le véhicule en cimaise d'expo. Les fenêtres fonctionnaient comme des sous-verres pour les délicates aquarelles de Gail. Elle les avait faites avec l'eau même de la piscine qu'elles représentaient. Conceptuel ... Un moniteur suspendu devant le pare brise, diffusait en boucle les vidéos d'Echo. Reflets et transparences des carreaux et des marques au fond de la piscine. (Elle avait décidé de ne pas montrer les videos des jumelles à Niagara Falls). Il tournait pour rien le petit magnétophone. Dans les écouteurs mis à disposition: silence, rien ! Ça devait être la mise en œuvre de Beverly. Archi-conceptuel ... Michael avait choisi les deux portes du haillon arrière pour accrocher des "portraits" qui n'étaient que des produits manufacturés ressemblant à des têtes, d'ailleurs l'une d'elle ne représentait rien d'autre qu'une charnière à quelques centimètres de là. Lui aussi censura les jumelles de Niagara: l'intention du designer qui les avait dessinée était déjà de ressembler à un visage. Il n'y avait que les vieux profs qui se soient déplacé un dimanche, et le dean. Le boulot des étudiants fût ignoré, pour parler à voix basse de Seide : un AVC … Les secours sont arrivés trop tard … Ils chuchotaient comme pour ne pas attirer l'attention de la faucheuse à l'écoute. – TOUS LES CHEMINS MÈNENT À L'UNIQUE OBJET DE MON RESSENTIMENT "Rome unique objet de mon ressentiment" "Horace", Pierre Corneille (Scène 6, acte 4, ) à Dominique Marie Bulle Pierre Kiroul LIRE Ça faisait belle lurette que Michael n'avait plus ouvert un livre. C'est arrivé alors qu'il n'avait, pour la dixième fois, pas dépassé la dixième page de La chambre claire . Au temps où il étudiait à Cooper Union il lisait beaucoup. Il ne suivait pas les auteurs, pour s'en faire une idée un titre lui suffisait. Il avait eu sa période polar: Hammett, Ellroy, Chandler etc. Ce qu'il appréciait par dessus tout c'étaient les monologues intérieurs. Sa référence était le trivial Magnum PI, avec ses chemises à fleurs conduisant la Ferrari de Higgins en refaisant le monde en pensée. Il y avait aussi San Antonio mais celui-là Michael ne pouvait pas le connaître. C'est surtout dans le train qu'il se délectait, par la lecture, à minorer son agoraphobie. Il lui est arrivé même de lire en marchant, surtout en traversant la Hudson River sur le Brooklyn bridge. C'est dans ces conditions qu'il avait lu Henri Miller. Et Anaïs Nin bien sûr. Il eut sa période SF avec Azimof et Bradbury, mais son inclassable révélation était J.D. Salinger. Ça l'enchantait au point de relire Jour rêvé pour un poisson banane à Central Park, là même où se déroulait l'action. Au cantonnier qui piquait les canettes pour les jeter dans sa poubelle à roulettes, il s'était hasardé à s'enquérir de l'endroit où les canards du lac passaient l'hiver. –Aux Barbades avait pouffé le black dans sa sa barbe blanche. Il exposait des gencives édentées pour renchérir dans un éclat de rire: – Aux Barbades ou à St Barth. qu'est-ce que j'en sais. Wadweino ! Soit: What do I know, en toutes lettres. Sans raisons apparentes, il n'avait jamais lu Sur la route, mais s'intéressait à la Hudson Com-modore qui en était la vedette. Le Traité du zen et du pilotage des avions de Bill Coxan fut longtemps son "livre de chevet". Non pas qu'il le lisait le soir avant de dormir (il s'endormait toujours avec la radio sur sleep), mais c'était pour lui comme un grigri dans sa poche. Au point que le Pocket était tout fripé. La couve était rayée de pliures qui en lacéraient le glaçage. Par curiosité plus que par soucis de se faire une culture il était passé par Scott Fitzgerald, Ernest Hemingway, T. S. Eliot. Les classiques, il préférait les lire en extérieur avec une vue dégagée. Sur un banc de Battery Park par exemple, ou sur le rebord du parking au River Café. Il avait du mal à lire dans le métro de peur de rater la station, mais dans l'Amtrack, qui mettait une heure pour le conduire à Garrison, il lui arrivait même d'écrire. ÉCRIRE Michael relisait pour la troisième fois cette phrase sans la comprendre. Elle n'avait rien d'hermétique pourtant: sujet, verbe, complément … Ce qui empêchait Michael de la saisir, c'était surtout sa propre production de pensées. Elle oblitérait les lignes du best-seller lui tombant des mains. Il se levait pour noter une idée, passait devant la bouilloire et, décidant de se faire un thé, en avait déclenché l'interrupteur. Il récupérait ensuite dans son sac à dos le petit cahier format poche pour consigner sa trouvaille. Le cerveau de Michael était peuplé d'une foultitude d'idées. Il ne doutait pas qu'elles étaient si géniales qu'il ne les oublierait jamais. Mais que de fois il ne s'en est plus souvenu .... Cette fois-ci il fallait qu'il prenne note. Pour ne pas être distrait par l'ingérence d'un chroniqueur d'un journaliste ou d'une publicité, il avait programmé WQXR-FM: 100% musique classique, et pas de pub! Mais, là, c'est Pablo Casals tentant de scier son violoncelle, qui avait détourné son attention. Retourné au lit avec son carnet, pour noter, il ne s'en souvenait plus … Bien sûr, de sa magis-trale idée Il remontait alors en amont de sa page blanche pour lire ce qu'il y avait noté en dernier: Sylvie – son nom sur le collier et son chemisier à cœurs. — Sans rancune — On reste amis Pourquoi avait–il noté cela? À quelle occasion? Quel intérêt y trouvait–il quand il consigna ces lignes? Qui est sylvie ! Michael ne se souvenait de rien. La seule image qui lui restait était ce chemisier couvert de petits cœurs bleus ou noirs, à l'envers. Ça lui avait fait penser à des fesses, mais, bien sûr cela en disait plus long sur lui que sur Sylvie. La bouilloire frôlait la fusion. PEINDRE Pour lire ou pour écrire ça pouvait être n'importe où, mais pour peindre il fallait que ce soit dans son studio. C'est Archimède qui découvrit le théorème qui porte son nom. Mais Michael pensait que le bain et la baignoire y étaient pour quelque chose. Autant pour écrire que pour peindre il inventoriait une série de rituels favorisant les trouvailles. La plus efficace était selon lui la douche écossaise: la fonction "radiateur" du réseau sanguin, tentant de compenser l'excès de chaud ou de froid sur l'épiderme, accélérait aussi la circulation dans le cerveau. Ça dopait pour se dépasser. Tout cela, préjugeant que c'était dans le cerveau que naissait les idées, bien sûr … Il avait expérimenté la chimie du cerveau sans trop de succès. Avec le MDA, ou le cannabis il ne maitrisait pas sa pensée, l'héroïne annihilait toute initiative. Très motivantes les réalisations sous cocaïne décevaient avec le temps, y compris sous l'influence même de la coke ! De toutes façons, ce n'étaient ni leur interdiction ni leur toxicité qui en privaient Michael, mais leur coût. En ce qui concerne la chimie, Michael retint la caféine, en vente libre. Elle lui permettait de s'extraire de la routine, des soaps télé, du frigo du rien-foutre et du cætera, elle le maintenait un moment optimiste et courageux. Il tenta aussi la théine mais sans trop de succès. Le studio donnait sur Humbolt street traversée jour et nuit par des diables aux mains de pakistanais. N'ayant pas de doubles vitrages, il couvrait le bruit, de la rue par sa propre musique. Celle-ci comme le café lui donnait de l'élan. Pour toute activité c'était de commencer qui lui coûtait le plus, s'extraire de sa flemme... Cela dit, au terme de "travail", il préférait celui de "jeu", comme on dit d'un acteur, ou d'un pianiste qu'il "joue". Il pensait, sans doute à tort, que le travail était une punition judéo-chrétienne, infligée à Adam, transgresseur de la loi, condamné à « gagner son pain à la sueur de son front ». Pour lui artister n'était pas travailler. Le Brooklyn bridge allongeait sa course, mais il le préférait au Manhattan à cause de la vue. Il trébuchait sur les aspérités du chemin, marchait la tête tournée vers le ciel. Vers les nuages le jour et la nuit vers les étoiles. Noyé dans ses pensées, il s'égarait. Ne reconnaissait parfois plus son chemin, ne sachant même plus où il se trouvait. Comme le trou d'air d'un abyssal vertige, le moment le plus paniquant pour Michael était celui du passage entre les études et la vie "professionnelle". Ce terme "professionnel", vie "professionnelle", artiste "professionnel", Michael le tenait en horreur. Naïf, il pensait que l'art avait quelque chose à voir avec l'amour et que l'amour professionnel n'était pas de l'amour. À Cooper Union il avait tout essayé. Des expériences lumino-cinétique avec des moteurs, des cellules photo, des prismes en plastiques et toutes sortes de gadgets du catalogue Edmund Scientific, sans compter la multitude de sources lumineuses au super marché de Noël, qu'il suffisait de brancher pour lumino-cinétiser. Le problème avec les machines que Michael assemblait, c'est qu'elles n'étaient ni autonomes ni pérennes. Il a été aussi tenté par les performances les installations, les actions, fleurissantes à ce moment là; il participa à quelques manifestations dans le Lower East Side sans que cela porte à conséquence. Selon lui, ces pratiques qui ont fait leur marché chez Duchamp, s'échinaient depuis un demi siècle à demeurer contemporaine. Elles se laisseraient dépasser comme le lièvre par la tortue. Malgré son côté désuet, rien ne le mettait plus d'effet que la peinture. Il s'était inscrit chez Charles Seide, qui a bien voulu l'accepter dans son cours. Seide n'avait aucune prise sur l'art contemporain, n'était exposé nulle part. Il professait le non-objectiv art, une peinture déconnectée du réel. Il pratiquait aussi l'estampe et la sérigraphie. C'est de la commisération qu'il inspirait à Michael, qui lui au contraire préférait peindre sur le motif. En ce moment, dans le sillage de Chuck Close et quelques autres on faisait des photos qu'on projetait sur la toile pour décalquer et peindre l'image projetée. Tout le monde faisait ça. Mais pour Michael, aucun motif ne semblait valoir le coup. Baeder peignait des Diners, Goings des toasteurs et des flacons de Catchup. Manque de pot, Michael ne se souvenait jamais du nom de ce peintre qui s'attachait à peindre des reflets dans des vitrines et qu'il plaçait, au dessus des autres. Il trouvait ces peintures prodigieuses mais il regrettait qu'elles soient davantage "photo" que "réaliste". Chez Hopper, dont tous les magazines rabâchaient Night hawlks les touches se souvenaient du pinceau et ça n'enlevait rien au réalisme. Michael se mit à peindre des autos. D'abord le combi Volkswagen split [Le pare brise est divisé (split) en deux]. Puis au hasard des rencontres, il faisait des diapos qu'il donnait à développer chez Stedco, sur West Broadway. Parfois, pour les dessins il faisait faire des tirages au format "légal" soit 35,6 × 21,6 Cm qui étaient en réalité des photocopies. Michael décalquait la copie pour faire des aquarelles. Le photocopieur sur West Broadway semblait être un prototype. Ce n'était qu'une Xerox couleur sur laquelle on projetait un diapo. Il attendait que les tirages soient prêts en dégustant une yogourt ice-cream sur le trottoir. Une odeur d'épice flottait dans l'air cris-tallin. Près de Washington square, Mamoun's, sur Macdougall, faisait le meilleur falafel du monde. Il était Palestinien mais toute sa pub se contentait de dire Middel East Falafels, formule qui n'excluait pas Israël. ATELIER NOMADE – Tu t'es inscrit pour le voyage? Michael ne comprit pas la question. Flanqué devant son casier, il se demandait ce qu'il devait y déposer et ce qu'il devait prendre en "histoire de l'art". – Tu sais ! le voyage d'étude d'année 4 ! Il retira une oreillette de son Walkman, histoire de se donner le temps de répondre, et finit par faire signe à Echo qu'il n'avait pas entendu. C'est une frétillante brune à lunettes, le "loup blanc" de Cooper Union; c'est elle qui présidait le syndicat des étudiants et c'est elle qui avait créé dès sa première année CU the voice , le bulletin des étudiants de Cooper Union. CU, étaient les initiales pour Cooper Union, mais phonétique-ment ça se prononçait: see you. N'étant pas avantagée pas sa taille, elle dépassait ce handicap dans son propre sens. Par exemple ses courtes jambes aux mollets consé-quents, étaient accentués par le port de collants à rayures horizontale. Elle étudiait l'art visuel et savait parfaitement que des rayures verticales, au contraire, auraient affiné ses jambes. Mais, pour elle, c'était une manière de s'affirmer telle qu'elle était. Sa frange épaisse couvrait ses sourcils mais sa nuque était dégagée. À Albany, Echo avait repéré un Combi Volkswagen en vente pour seulement sept cents dollars. Son projet était de faire avec ce véhicule un Road PhD, pour sept étudiants. Chacun devait avancer 100$ pour acheter le bus. Echo était sûre qu'en le revendant on rentrerait dans son argent. Le Combi Volkswagen étant son motif de prédilection, Michael trouva l'idée bonne. Echo n'avait pas encore son permis, elle avait décrété qu'il en serait le chauffeur. – Je veux bien, mais je ne fais que chauffeur. – Comment ça ! que chauffeur ? – Je veux bien conduire mais je ne veux pas m'occuper de trouver les cinq autres, ni faire les corvées de paperasse. – OK (dit Echo dont l'outrecuidance avait des limites) je te paye un café ! – Il faut que j'y aille... J'ai cours avec Bernhard ! Il ferma son casier et brouilla le code du cadenas. La mécanique compliquée du Carrousel et son cliquetis à chaque diapo saccadait sa pensée, il voyait une série de peintures tachetées. Les peintres devaient être français parce qu'à moment donné il aperçut une tour Eiffel! Mais son cerveau était occupé par la rencontre de Echo. Cette histoire lui avait assiégé l'esprit, il n'entendit pas un mot du cours de Bernhard. On voyait toutes sortes d'accoutrements dans cette école d'art. Les jeans rapés semblaient avoir été découvert ici-même. Les T-shirts sérigraphiés, les coiffures rastas étaient convenus maintenant. Mais Michael était impressionné par Echo, dans des collants à rayures sous sa jupe écossaise et son Perfecto élimé. Sa frange de jais et son bracelet clouté. Qu'est–ce qu'il lui avait pris de teindre ses paumes au henné! Et qu'est-ce qui prit Michael de s'engager dans cette galère... Il se le demandait. LE COMBI Michael avait ceci de particulier qu'il ne s'intéressait pas à la théorie. Il se considérait bien "artiste" mais ne voulait rien savoir de la scène artistique, n’achetait pas de revues, ne connaissait que les œuvres qu'il avait vues en vrai et les artistes qu'il avait rencontré. Ça se limitait en gros aux profs de Cooper Union et aux artistes venus faire une lecture. Il avait conduit une moto mais ne portait pas de blouson en cuir et ne fréquentait pas les bikers. Il aura même piloté un Aeronca Chief, mais au bar de l'escadrille sur le terrain de Westville, la motorisation, les performances et les modèles dont les pilotes se gargarisaient lui passaient à côté du cigare. Ça se voyait tellement, que les pilotes affublés de Ray-ban ne lui parlaient que pour le railler. Il avait eu une Bianchina mais ne con-naissait aucun autre modèle chez Autobianchi. Il l'avait achetée parce qu'elle était la moins chère. Tout ça pour dire qu'il découvrait le T1 Combi Split-window Volkswagen, en vrai, pour la première fois. C'est un modèle de 57 gris bleu, le sigle à l'avant originellement chromé, était tout rouillé. La porte arrière avait deux battants, dont l'un s'ouvrait dans le sens contraire à la marche. Au prétexte avancé par Michael que la seconde ne passait qu'au moyen d'un double débrayage, John lâchait son véhicule pour 500 $ et leur offrirait même des cocas. Ça tombait bien car finalement ils n'étaient plus que cinq, pour ce assignement trip dont Echo seule avait, peut-être, une idée. Nelly avait fait faux bon. Il y avait à part Echo: Beverly, Noreen et Gail avec Michael. Ils n'avaient réussi à quitter Cooper Union où ils s'étaient donnés rendez–vous, que vers 11:11. C'est Echo qui proposa de se poser à Ithaca. Ils y arrivaient quand il était près de trois heures. Elles avaient faim et au bas de Lark street le parking de the Odyssey fast food leur tendait les bras. Michael avait du mal à faire un créneau avec les rétros latéraux, sur le central il ne voyait que les frimousses agitées des filles. Ulysse Paterakis s'apprêtait à faire la sieste quand ils demandèrent à déjeuner. La carte plastifiée était en grec ! Sofrito, Soufiko, Soutsou-kakia, Souvlaki, kotopoulo, Spanakopita, Spanakoryzo, Spetsofaï, Stifado, Strapatsada , Tas Kebab, Thodoropita. Au vu des vignettes aux couleurs délavées, on ne faisait pas la différence entre une omelette et une escalope panée. Pressé de siester, Ulysse leur proposait de choisir lui-même et de leur faire un forfait à 7$ par personne, boisson comprise. Puis, sans attendre leur accord, servit à chacun un petit verre d'Ouzo avec de petits amuses gueules. Michael avait demandé une bière, on servait des Mythos. C'est Noreen la première, qui voulut savoir où on allait. – Où veux tu qu'on aille? Répliquait Echo. Je ne sais pas moi, on devrait décider démocratiquement. – Que chacun dise où il veut aller puis nous voterons – Moi je propose d'aller à la mer – Moi à la montagne – Continental divide? – Pourquoi pas … Sauf que le gallon de gazoline dépasse maintenant un dollars, ça nous ruinera. – Faisons un pot commun à partir duquel on puisera pour les dépenses d'intérêt général – Mais … Pour aller où? – On n'a qu'a déchirer la carte en petits bouts et en piocher un dans un saladier . – Oui, ok. – On n'a pas de carte. – Achetons en une. – Trop compliqué; ça retarderait la décision et re-porterait notre périple. Echo avisait sur le comptoir un backgammon. Elle demanda l'autorisation à Ulysses. –"Tabli ...Tabli". Fit il en hochant positivement la tête. Avec les dés du "tabli" elle proposait de tirer la direction au sort: "12" le nord, "six" le sud "trois" l'est, "9" l'ouest ... etc. Beverly, qui jusqu'alors s'était tue, se chuchotait à elle même : – Ithaca, Odyssey, Ulysses, Mythos … Tout cela doit avoir un sens. D'autorité Echo proposait: – On pourrait commencer notre "assignement trip" à Ithaca. On achètera des dés et une carte en route. Qui vote pour ça? Ulysse qui avait suivi avec intérêt leur projet leur mit dans les main les dés: « δώρου ». L'auto-radio était contemporain du Combi, les stations captées ne diffusaient que Judy Garland ou des tubes surannés genre Rhum and Coca Cola par les Andrew Sisters des années 50. Les speakers avaient cette voix compassée des anciennes voix médiatiques. Il y eut Bing Crosby, Glenn Miller's big bands, les Inkspots, Artie Shaw Frenesi et Glenn Miller In the Mood. les Mills Brothers "Paper Doll", Dorothy Collins "Swingin 'on a Star". Des titres qu'avaient écoutés leurs parents en 78 tours. Il y flottait comme une climat paranormal, même Michael habituellement rationnel eut l'impression, un instant, que ces voix provenaient du passé. Cette idée déchaînait une hilarité hysté-rique à l'arrière. Beverly qui s'était couchée sur la banquette du fond se redressait brusquement affichant dans le rétro un sourire ondulant et interrogateur. Vue de la route 88, la campagne prenait des allures vintage, les fermes en bois grenat aux corniches blanches, les silos surmontés de dômes comme des observatoires, les pickups d'un autre âge, confortaient les passagers, dans un passé mythique, au point que lorsqu'ils se laissaient dépasser par un bolide contemporain c'était comme Back to the future. – Eureka! Jubilait Michael en anglais, puis avançait une explication qu'Echo avait dû expliquer aux autres: – C'est un poste des années cinquante en Modulation d'Amplitude: AM., il ne s'en fabrique plus, seuls les anciens en avaient conservé. Ces postes dataient du temps où l'obsolescence n'était pas encore programmée. Les quelques stations AM rescapées, émettant en direction d'un cœur de cible "troisième âge", ne programmaient, pour leur plaire, que de vieux tubes. CQFD ! Le camping n'était pas loin d'un Finger lake. À l'époque où on les baptisa, ces quatre lacs allongés faisaient comme les doigts de la mains. On décida de planter les tentes le plus loin possible des caravanes, camping cars et autres mobilhomes. Des bières, des chips et un sac de glaçon achetés, il y avait un foyer pour faire un feu de camp. On retourna acheter du bois et des Marshmallow. Puis laissant les boissons fraîchir on plongeait joyeusement dans la piscine avec une bousculade de bon aloi qui donna à Michael des sentiments mélangés. Le feu était au bord d'une haie, cela contrariait tout le monde. On avait imaginé des tentes autour du feu, à l'indienne. Il fut décidé de monter la tente de Michael de l'autre côté de la haie et les tentes des filles en épis convergeant vers le feu. Le Combi ferait paravent vis à vis du reste du monde. Le temps que le feu prenne on pétait les bières avec les chips, puis on sacrifiait aux traditionnelles grillades de Marshmallow. La soirée continuait avec les jolis sticks de beuh que confectionnait Echo, sans tabac. Le misérable son du lecteur de cassettes National, diffusait Devo, Talking Heads, mais aussi des vieux tubes de Dylan . She's got everything she needs. She's an artist, she don't look back ... Le froid leur fit enfiler duvet autour des braises. Seules Noreen et Gail se crapahutaient dans une tente. Puis Beverly. Restait Echo qui dormait déjà. Michael se couchait sur le dos pour déguster le bleu nuit du ciel, la tranquillité de l'instant. Il revivait en pensée la bousculade des filles dans la piscine. Les visions sous-marines du maillot, béant sur la chatte au duvet tellement fin, presqu'invisible, de Beverly. Ce maillot datait d'un temps ou elle était plus en chair. Quelles circonstances l'avaient fait mincir à ce point ? Cette vision avait réveillé des envies. Il se demandait si les filles avait remarqué sa turgescence. Comme chaque fois qu'il avait eu une érection non assouvie, il avait eu mal au burnes. Ces pensées le faisaient bander de nouveau, il se branlait doucement dans son duvet en prenant soin de ne pas éveiller de soupçons. Dans la tente, les filles étouffaient des rires, il se demandait s'il en était l'objet. Est-ce que Noreen et Gail étaient déjà ensemble avant cette virée? Et sinon comment se fait-il que les gays se retrouvent vite et sans arrières pensées sur le terrain du sexe. Lui par exemple n'osait risquer des avances. C'était Beverly qui lui faisait le plus d'effet, mais il pensait avoir plus de chance avec Echo. Le clignotant d'un ovni traversait imperceptiblement le ciel. Il n'eut même pas le temps de reconnaître que ce n'était qu'un avion, avant de sombrer. C'est vers midi que la question du départ se posait, après un lever asynchrone. On décida de faire des courses pour zapper le fastfood. La boutique du camping était une sorte de général store où on trouvait tout ce dont un campeur avait besoin: une pagaille de cartes postales sur tourniquets, représentant des cascades, la fameuse Cornell University, et les inévitables animaux de compagnie. Il y avait aussi les incontournables portes clefs et magnets aux armes de Tompkins County. Un grand frigo à bières, lait et autres sodas éclairait le passage. La partie épicerie était bien achalandée: une vitrine maintenue à température abritait muffins, bagels & Co. Le café était en self service. À part les produits de toilette et les gadgets de camping, il y avait aussi tous sortes de cartes routières et des babioles pour véhicules. Michael s'ouvrit à Echo. – Rien n'est plus ennuyeux que de lire une critique avant de voir une expo ou un film. Se balader avec un guide touristique démolissait l'imprévu. Ce n'est que perdu qu'on peut découvrir quelque chose de nouveau ! – Alors? quel est le point (What's the point) !? Dit Echo pressée de passer à la caisse avec cinq livres de produits sur les bras. Echo avait sans doute un paquet de défauts mais ils étaient compensé par une intelligence vif argent. Elle comprit tout de suite quand Michael lui retira la carte routière sous son coude pour la remplacer par une petite boule luisante au bout d'une attache ventouse. – Un compas … une boussole quoi ! Michael, pressé de voir si ça fonctionnait vraiment, sans attendre les autres, faisait sur le parking un trois cent soixante dans le sens des aiguilles d'une montre. La petite boule du compas, ventousée sur le split-window, tournait en sens inverse. Ça le mettait en joie. – Sept et deux: neuf … > Ouest ! Alea jacta est. Des deux côtés du Combi, des champs encore verts. Les fils électriques ondoyaient au rythme de la musique et s'accordaient au défilement des poteaux. And someday, maybe, Who knows, baby, I'll come and be cryin' to you. À l'intérieur, chacun devait dire le projet artistique qu'il produirait pendant le tour. Echo se proposait de repeindre le Minibus. Michael avait peur que cela compromette la vente du véhicule, mais il censura sa pensée. Il aurait bien fait, par la fenêtre, des photos dhorizon à assembler comme un long panorama sur la cimaise, mais affecté au poste de chauffeur, il ne pouvait pas conduire et photographier à la fois. Beverly exposa à l'arrière son projet: c'était une "action" ... ou une "performance" ? Echo la relaya à Michael qui n'avait rien entendu. Son action consistait à ne rien dire pendant tout le voyage, se contentant de faire des signes ou des dessins sur un petit calepin. Noreen qui avait apporté la camera video JVC de ses parents, se décidait pour une sorte de fiction en video. Quant à Gail elle tiendrait un carnet de voyage photofree exclusivement composé de dessins aux crayons pastels ou à l'aquarelle. Les dés firent double quatre: huit. C'est le sud sud-ouest, la RD 13 Vers Almira. À 40 miles à l'heure le van croisait face au soleil. À travers les lunettes polarisantes le ciel d'un bleu profond était gorgé de cumulus. En bord de route, ces maisons bardées de planches comme des tuiles était toutes de la même couleur: un "gris de Payne" de diffé-rentes densités, toujours encadré d'arrêtes blanches. Les bâtiments de ferme étaient tous du même grenat saturé et les dômes neufs des silos étincelaient parfois comme des ovnis. Sur la route: quelques pick-ups et des tracteurs. Leur seul arrêt était imposé pour faire le plein dans une station en bardage blanc elle aussi, au fronton grec. Un pégase survivait sur l'enseigne Socony Vacuum. La compagnie s'était transmutée en Mobil mais cette nouvelle marque n'avait pas encore atteint la province. Les Slush Puppies affichaient toutes sortes de couleurs et de saveurs: fraise, crème de fraise, framboise, framboise bleue, cerise, melon, pomme verte acide, cola ! On ne peut pas les essayer toutes. Michael s'était tout seul échiné à faire le plein. Bonnes, les filles lui en prirent une au citron vert qu'il suçât en reprenant le volant. C'était nouveau pour lui, nulle part à Brooklyn ni dans la grosse pomme cette boisson n'avait perduré. C'est une eau colorée et parfumée noyée d'une infinité de billes de glace ne dépassant pas un millimètre de diamètre. Les dés indiquaient l'ouest cette fois, ce qui les mit sur l’inter-state 85. Ils buttèrent sur le lac Erié et sortirent casser la croute sur une espèce de station balnéaire abandonnée. Le lac était jaune-orange et inspirait le dégoût. Venant du lac, le vent, empestait les oeufs pourris. Trop tard pour trouver un camping, il se laissèrent tenter par le Lakeview On the Lake, motel tenu par un jeune couple n'en revenant pas d'avoir des clients. C'étaient de charmants petits bungalows aux rideaux vichy rouges et blancs, des bois de cervidés aux murs et tout ce qu'il fallait pour faire du café. Les filles, elles, dormiraient à deux dans les king size d'un bungalow. Michael s'échappa dans celui qu'il occuperait tout seul. En pleine nuit Charles Seide se glissa dans la pièce, et annonça à Michael qu'il devait partir. Qu'est-ce que Seide venait faire en plein atelier nomade! Michael allait le lui demander quand il s'aperçut qu'il n'était pas seul dans le lit. Il reconnut l'eau de toilette de Beverly! Sa tante Mimy avait le même: "4711"! Le rêve de Michael avait réveillé Beverly qui se retourna, elle avait presque de la fièvre. Michael n'était pas réveillé mais son sexe était raide. Elle s'en saisit, l'engloutit dans le sien et se contentât d'une éjaculation immédiate. Ce fut trop furtif, Michael ne se réveilla qu'au lever du soleil et partit en direction de la falaise. Il s'arrêta au belvédère. La nature bruissait d'oiseaux, des mouettes passaient dans un boucan désordonné. Curieusement, le lac était vert bleu et l'odeur d'œufs pourris avait disparu, une légère restitution de brise était siphonnée par le lac demeuré plus chaud que les terres. Vers la droite, le soleil se lève et donne à Michael un modeste sentiment de plénitude. Il épierait Beverly pour déceler un indice sur la péripétie de cette nuit. Elle avait fait vœux de silence. La piscine était chauffée. Un paquet de bouées multicolores flottaient. Des frites en mousse, quelques animaux gonflés aussi. Michael s'étendit sur un transat en plastique avec son FM2. Dans son viseur la piscine était un Hockney. Toutes les idées qui lui vinrent avait déjà été exploitées. L'obstacle aux photos panoramiques par la fenêtre du van en déplacement inhibait toute nouvelle idée. Il se mit, sans y croire, à faire des macros, de très gros plans, d'objets infimes. Son Nikkor 58mm macro offrait un champ d'application rêvé. Michael se tint bien de photographier comme le premier crétin venu, des fleurs ou des insectes. Il s'attacha, bien que cela aussi était "déjà vu", à des détails de robinetterie de la piscine: compteurs, vannes, outils. Il fit quelques macros de pince qui faisaient penser à des crocodiles, mais il savait cette piste déjà surexploitée. Un interrupteur en très gros plan ressemblait à un visage: de part et d'autre de la gâche les deux vis figuraient des yeux... Il sursauta ! Beverly, en maillot de bain lui avait pincé ses anses d'humour. Elle plongea par dessus lui, Michael protégea avec ses mains le FM2 du splash, retourna aux transats, garda son caleçon et s'exposa au soleil matinal. Beverly faisait des longueurs sans faire de vagues. Sur le transat à côté, il lui enviait son carnet de croquis, sa boite d'aquarelle miniature. Il lui semblait que la délicieuse boite d'aquarelle Rowney formatait moins le résultat que son Nikon. Il convenait que cadrer et presser sur le déclencheur demandait moins de talent puisque c'est "Nikon" qui faisait tout le travail. À en croire la hauteur du soleil, il n'était pas loin de midi. L'équipée s'abandonna à une pause, autour de la piscine. Le vent de sud faisait oublier l'infecte puanteur du lac Erie. Michael pensait surtout qu'ils ne sentaient plus cette odeur parce qu'ils en faisaient partie, un peu comme on ne peut sentir sa propre haleine. Chacun s'adonnait à sa pratique favorite entrecoupée de courses, de barbecues et de beuveries le soir. Le couple de patron n'osaient pas leur faire de remarque: ils étaient les seuls occupants du Motel. Quand le lendemain une horde d'obèses débarquèrent et débordèrent la piscine, on leva le camp. Une discussion désorganisée avait lieu pendant que Beverly griffonnait sur son petit carnet. Son assignement volontaire était rempli à la perfection: elle n'avait pas ouvert la bouche depuis le départ. Michael pensait qu'elle n'avait pas dû trop se forcer, il se tut en regardant d'un air de intéressé son calepin: « Je n'ai jamais été à Niagara Falls » griffonné en capitales avec des "e" comme des εpsilon. Personne n'y était allé non plus. – Normal, dit Gail, nous habitons New York. L'idée d'aller sur la statue de la liberté ne nous effleure pas, nous laissons ça aux touristes. Michael hésita une seconde à confesser qu'il y avait été faire des panoramas. – Super ! Fit–il, allons y ! Un peu de tourisme tordra le cou à l'esprit de sérieux « Art Con-temporain ». Il avait dit "Art Contemporain" sans qu'on puisse déceler une grimace. Les panneaux de toutes les routes indiquaient Niagara Falls, il n'y avait qu'a suivre. Sur Route 5 dite aussi Erie road, le compas fixé par succion sur le split pare brise oscillait entre 50 et 60°, quand ils furent attirés par: Grandview Drive–in. On tenta d'en faire le tour, c'était immense et ça fascinait tout le monde. Aucun d'eux n'avait jamais été dans un drive-in et celui-là paraissait géant. Ils se promirent de repasser par là le soir. The blues brothers: pas mal. Bigre! Le parking est payant! Et loin des chutes. On en entendait quand même le vacarme et un petit nuage se formait en permanence à son emplacement. C'était le WE, le site était pris d'assaut. Près des chutes, des jumelles pour touristes à visage humain: les oculaires figuraient des yeux le nez une serrure et la bouche. Echo demanda à Gail de les filmer; elle demandait en off: – Es tu content ? Elle bougeait les jumelles verticalement pour dire « Oui ». – Ça t'agace qu'on te filme ? Elle bougeait alors la tête-jumelles horizontalement pour: « Non ». Regardant la video dans le viseur de la camera, elles se tordaient de rire. Le vrai truc à faire quand on est aux chutes du Niagara c'est d'enfiler des cirés jaunes, d'embarquer sur le Maid of the mist et d'aller frôler la chute. Emotions garanties. Ils comptèrent leur sous et conclurent : 1, Qu'il fallait rentrer à NY. 2, Que le Lake View Motel avait coûté trop cher. 3, Qu'il fallait en garder pour le Drive-in. DRIVE-IN Il scintillait littéralement à l'horizon. Des projos antiaérien balayaient le ciel. Et … C'était samedi soir: la fièvre ! L'énorme néon "Grand View" était plaqué en diagonale et dans un coin il y avait un masque pour symboliser "théâtre" (movie "theatre"). Mais ça faisait aussi penser à une frimousse de Disney. Derrière l'inscription, des ondulation couvrant toute la hauteur, faisaient "art cinétique". Les transfos dispensaient un grésillement mâtiné de petits éclairs. L'écran doit faire 45 pieds de haut, l'entrée se fait dans son dos. Tout le monde se souvenait de l'effet AM qui nous plongeait dans les années quarante. Ici c'était la machine à remonter dans les années cinquante. Inexplicable mais vrai, la plupart des autos étaient effectivement de ces années là. Les caissières jouaient le jeu à fond, et dès qu'on passait l'entrée une foule de teens bigarrés se frayait des itinéraires entre les spectateurs. Les premiers rangs sont déjà occupés par les décapotables. Des serveuses en rollers fonçaient avec des commandes comme au cinéma. Ils étaient au cinéma et savouraient cette conceptuelle redondance. Michael tenta de se ranger bien au milieu de l'écran, juste derrière les convertibles. La bande son n'était pas diffusée dans l'enceinte. Le ticket d'entrée mentionnait qu'il fallait régler l'auto-radio sur 107.5 en FM. Il se rendit compte, tard, de l'émeute des filles derrière lui: assises elle ne voyaient que la moitié inférieure de l'écran ! Michael annonça qu'on ne pouvait pas avoir de son. – ??? – Le poste antédiluvien du Combi n'a pas de FM. C'est marqué sur le ticket d'entrée: le son est transmit par la radio FM, fit il en montrant le ticket. Echo l’arracha pour lire les petits caractères sous le plafonnier jaunissant. « À défaut de FM, des hauts parleurs sont à dispo près de la cabine de projection. » C'était vrai. De petits poteaux offraient des hauts parleurs étanches et de fort piètre qualité que l'on rentrait dans le véhicule. Ce n'était pas de la stéréo et le son était supportable quand on ne cherchait pas à pousser le volume. Le film était désopilant certes, mais le spectacle continuait autour du Van. Popcorns, Sundaes, Cocas étaient servis sur un petit plateau qui s'accrochait aux portières. Noreen et Gail se faisaient des câlins sur la banquette arrière. À l'avant Michael était resté au volant et Beverly s'est installée entre lui et Echo. Tous les sens de Michael étaient à leur acmé, la fragrance de tante Mimy avec Beverly tout contre lui, le spectacle des Blues Brothers, et aussi et surtout cette brise de printemps sur sa nuque … A la fin du film il a fallu réveiller Beverly qui dormait sur son épaule. Ils passèrent la nuit dans le Van sur le Parking, c'était rigoureusement interdit. Michael à même le sol, a très mal dormi et, dans la brume matinale rien n'indiquait où on pouvait prendre une boisson chaude. Il n'arrivèrent à Cooper Union qu'au milieu de l'aprèm pour apprendre que Seide était mort. NOMADIC WORKSHOP, THE SHOW Echo avait réussi à faire entrer le Combi tout peinturluré dans le hall, et obtenu l'auto-risation d'y exposer leur NOMADIC WORKSHOP. Elles avaient dégagé les banquettes et, toutes portes ouvertes, avaient transformé le véhicule en cimaise d'expo. Les fenêtres fonctionnaient comme des sous-verres pour les délicates aquarelles de Gail. Elle les avait faites avec l'eau même de la piscine qu'elles représentaient. Conceptuel ... Un moniteur suspendu devant le pare brise, diffusait en boucle les vidéos d'Echo. Reflets et transparences des carreaux et des marques au fond de la piscine. (Elle avait décidé de ne pas montrer les videos des jumelles à Niagara Falls). Il tournait pour rien le petit magnétophone. Dans les écouteurs mis à disposition: silence, rien ! Ça devait être la mise en œuvre de Beverly. Archi-conceptuel ... Michael avait choisi les deux portes du haillon arrière pour accrocher des "portraits" qui n'étaient que des produits manufacturés ressemblant à des têtes, d'ailleurs l'une d'elle ne représentait rien d'autre qu'une charnière à quelques centimètres de là. Lui aussi censura les jumelles de Niagara: l'intention du designer qui les avait dessinée était déjà de ressembler à un visage. Il n'y avait que les vieux profs qui se soient déplacé un dimanche, et le dean. Le boulot des étudiants fût ignoré, pour parler à voix basse de Seide : un AVC … Les secours sont arrivés trop tard … Ils chuchotaient comme pour ne pas attirer l'attention de la faucheuse à l'écoute.

A propos de Roland Baladi, c’est une sculpture très singulière qui m’avait dans une premier temps alerté : l’artiste a sculpté en 1998 une « Sonorette » en marbre de Carrare, d’après un modèle de récepteur de télévision des années cinquante.
Puis je découvre « The marbelous Cadillac 1985-2009″, somptueuse limousine américaine figée elle aussi dans le marbre de Carrare.
Cette auto-immobile nous suggère un univers dont on ne sait pas s’il représente le vestige fossilisé d’une civilisation disparue ou l’annonciateur inquiétant d’un futur pétrifié.
Pour cet artiste qui s’est mesuré également à l’art vidéo, ce jeu de bascule entre différentes approches du réel n’en finit pas d’interpeller.

L’artiste me donne à lire un écrit intitulé : « Tous les chemins mènent à l’unique objet de mon ressentiment ».
Et l’aventure de Michael et Jello, à l’opposé des histoires immobiles que racontent ses sculptures, décrit l’errance de ce couple entre France et Etats-Unis. Pour ces deux étudiants d’art, elle parisienne, lui new-yorkais, ce cheminement entre l’Amérique et la France prend également l’allure d’une quête en direction des lieux de l’art, des galeries, centres d’art, portant témoignage sur la difficile approche pour les artistes de ces lieux convoités.

Ce Road-trip, au style alerte, se nourrit des rencontres, des personnages croisés au gré de ce périple dans l’art vivant.

Claude Guibert

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